Depuis les années 1980, la musique électroacoustique s'est résolument tournée vers les outils numériques. La scène du théâtre musical et la scène lyrique ont largement profité du virage du direct (live electronics) et du numérique. Elles ont aussi beaucoup approfondi la situation mixte, dans laquelle des instruments acoustiques jouent en direct mais sont transformés par des dispositifs de traitements du son ou par différents algorithmes de génération sonore. Le numérique mixte en direct donne des résultats assez différents du dispositif plus ancien où les sons étaient complètement fixés sur une bande magnétique et offre de nouvelles possibilités d'interactions. Après plus de vingt ans de ces pratiques, il devient possible d'esquisser un bilan critique des enjeux du mixte numérique pour la scène, sur les espoirs qu'il a suscités et sur les résultats obtenus. Il s'agit aussi d'apporter des éléments de réponses à ces questions fondamentales : pourquoi de la musique mixte sur ou pour la scène ? Pourquoi de la musique en direct (temps réel), avec ses dangers d'accidents, plutôt que de la musique enregistrée toujours identique ? On comprendra d'abord que cet article s'inscrit dans une réflexion plus générale sur les dispositifs artistiques et musicaux 1. Comme on le sait bien désormais, les technologies ne sont pas neutres : elles résultent de choix autant que de possibilités techniques, sont inscrites dans le temps et l'espace, incarnent des présupposés esthétiques, culturels ou scientifiques et colorent ou limitent les possibles dans une série d'effets bien compris par Marshall McLuhan 2 , Régis Debray 3 ou Vincent Tiffon 4 , entre autres. On peut encore évoquer les discussions du dispositif dans la filiation de Foucault et d'Agamben 5 et souligner que les dispositifs de musiques mixtes comportent un certain nombre d'implications allant bien au-delà des considérations techniques et musicales élémentaires. Dans cet esprit, on pourrait par exemple étudier le rôle institutionnel 1 Voir Martin Laliberté « Le compositeur et son dispositif » in Leblanc Gérard et Sylvie Thouard (dir.), Numérique