Depuis 1997 environ, l'Espagne est littéralement submergée par un flot de témoignages de la répression franquiste qui n'est pas sans rappeler l'hypermnésie que la France connut au début des années 1970 à propos de Vichy. Le soixantième anniversaire du déclenchement du conflit, en 1996, avait permis d'évoquer le souvenir des Brigades Internationales. Celui de la fin du conflit, en 1999, mit en lumière l'extrême brutalité du système répressif du franquisme : les fosses communes découvertes dans d'innombrables villages et dans lesquelles reposent des dizaines de milliers de corps ; les adoptions illégales de 12 000 « enfants volés » à leurs parents républicains confiés à des institutions religieuses peu regardantes ; le travail forcé des « esclaves de Franco » dans la centaine de camps de concentration répertoriés ; ceux qui vécurent quarante ans emmurés et qu'on appela « les topos » [de tapar, cacher], pris dans la souricière d'un régime qui n'envisagea jamais le moindre pardon mais seulement l'implacable anéantissement des démocrates ; les femmes détenues, fréquemment violées et battues, et dont on ignorait jusqu'à l'existence, etc. Aujourd'hui encore, pas un jour ne passe sans qu'un article, une recherche, une publication ne dénonce « le pacte de silence et d'oubli » dont se serait rendue coupable la transition démocratique : la société espagnole aurait été frappée d'amnésie collective, un silence scellé par une classe politique soucieuse de réconcilier les « deux Espagnes ». Ce phénomène mémoriel d'hypermnésie n'est pas propre à l'Espagne : il s'inscrit dans le cadre contemporain de « l'ère du tout mémoire » qui surgit en France, en Allemagne ou en Italie depuis les années 1970. Chronologiquement, il éclot après la chute du Mur de Berlin et se développe selon des modalités assez proches de celles que connaissent les pays