Avec la perte de ses assises au sein du monde ouvrier de l'industrie et ses difficultés à s'implanter au sein du nouveau salariat subalterne apparu avec la tertiarisation du tissu socioproductif, la CGT s'est vue remise en question dans sa capacité à représenter et mobiliser les classes populaires. On assisterait à une « crise » des formes d'engagements protestataires héritées du mouvement ouvrier, qui serait condamnées à être seulement portées par les franges les plus stabilisées du salariat où l'organisation est la mieux implantée (travailleurs à statut, des services publics), tandis que les fractions précarisées de classes populaires se tiendraient à distance de ce type d'action collective. Or, de nombreuses enquête sociologiques ont montré depuis les années 2000 que la conflictualité dans le monde de l'emploi subalterne, bien loin d'être inexistante, emprunte plutôt des formes moins visibles (conflits sans arrêt de travail, pétitions etc). Surtout, elles rendent compte de l'investissement à la CGT de salariés travaillant en marge des « bastions » traditionnels de l'organisation (employées de la grande distribution, des services à la personne, ouvriers externalisés au sein d'entreprises sous-traitantes etc). L'étude de ces formes d'action syndicale permet ainsi de rompre avec une vision manichéenne selon laquelle le militantisme à la CGT serait le domaine réservé d'un monde ouvrier sur le déclin, exclusivement blanc et masculin. Avec cette communication, nous nous proposons d'expliquer de quelles manières ces salariés « du bas de l'échelle » peuvent se saisir des formes d'action protestataires telles qu'elles sont promues à la CGT, c'est-à-dire recourant à une rhétorique de « lutte des classes » opposant les salariés au patronat et valorisant l'action collective pour entretenir le rapport de force avec l'employeur. Nous mobiliserons un matériel récolté par enquête ethnographique au sein d'une Union locale CGT implantée dans un territoire marquée par l'absence du secteur industriel et l'importance des emplois de services (commerce, services à la personne etc). En liant l'étude du travail syndical réalisé à l'UL à celle des trajectoires biographiques, professionnelles et militantes des délégués travaillant dans l'emploi tertiaire et subalterne (magasins de grande distributions, Ehpad, centre d'appel), il s'agira de mettre en lumière les voies originales par lesquelles l'action militante de la CGT peut s'ancrer dans des contextes de travail précaires et autoritaires.