Pour mieux comprendre les spécificités de la poésie de Musset, il faut se poser cette question : que fait-elle ? En effet, sa poésie est d’abord une action, et en cela elle ne peut être totalement dépourvue de valeurs même si l’éthique paradoxale du poète – celle qui apparaît en pointillé de poème en poème dans le recueil des Poésies complètes – se manifeste moins par des prescriptions et des croyances stables que par une dynamique qui se ressource sans cesse dans le refus du nihilisme. À la désespérance d’une époque, le poète répond par une éthique de la légèreté, par chant de la vie (et tous les thèmes qui s’y rapportent) et par une poétique. Cela signifie que la forme même de la poésie mussétienne – ce qui a été décrié – peut être interprétée comme une réaction contre le désenchantement. L’éthique de la légèreté est une axiologie paradoxale dont les valeurs sont la paresse, la désinvolture, l’inconstance. Elle sous-tend une poétique du disparate : le divers, l’irrégulier, la discontinuité, ses ruptures, les imperfections apparentes ne sont pas des défauts rédhibitoires. La poésie est avant tout pour Musset une parole, un acte dont il cherche l’accord avec la vie. L’écriture poétique de Musset doit être réévaluée en fonction de la posture du poète, d’u0ne stratégie, d’un refus de l’Absolu littéraire – que les premiers Romantiques allemands avaient inventé – et de la grandeur du poète romantique – telle que Byron, Lamartine ou Hugo en donnaient l’image. Je m’attacherai donc à l’étude d’un rapport entre éthique et poétique qui fait de Musset l’initiateur d’un lyrisme précaire, dont la voix semble parfois brisée, mais qui s’établit néanmoins en puisant dans les incertitudes et la crise des valeurs une force d’affirmation.