Ce numéro de la Revue des sciences sociales consacré aux frontières du privé et du public nous donne l'opportunité, en le lui dédicaçant, de saluer le départ à la retraite d'une col-lègue qui a été la première rédactrice de notre publication. Le thème du dossier vient en effet à plus d'un égard en écho à la carrière de Marie-Noële Denis. Chercheure au CNRS, celle-ci a consacré nombre de ses travaux à des objets : la maison, la décoration, l'architecture monumentale, l'urbanisme, la culture dialectale, qui marquent, et en même temps interrogent par l'évolution de leurs usages les frontières toujours fluctuantes, dérivantes, entre espaces privé et public. Nous saisirons donc ce fil rouge pour présenter ses travaux. Cependant, ce n'est pas seulement de ce point de vue que nous aimerions souligner le lien qui associe Marie-Noële Denis à une telle thématique, mais aussi d'un point de vue plus personnel : il y a des personnages dont l'activité publique est discrète et qui pourtant, tout en donnant l'impression de suivre leur bonhomme de chemin privatif, marquent l'espace qu'ils traversent. Si on n'y prend garde, si on ne s'arrête pas pour faire un peu le point de leur contribution à la vie des collectifs auxquels ils ont participé, on les laisse partir sans en prendre la mesure et, outre l'injustice qu'on leur fait, c'est tout simplement quelque chose de l'explication de ces collectifs qu'on manque. On pourrait là évoquer Georg Simmel sur la question du secret et de la discrétion : le secret, constitutif du privé, est ce qui fonde le social, et c'est pourquoi lui fait pendant la discrétion, en tant que limite que chacun se donne de ne pas entrer dans l'espace privé d'autrui. Souligne-ton cependant jamais qu'il y a aussi une forme de discrétion à ne pas vouloir envahir l'espace public, pourtant commun à tous ? Marie-Noële est de ces personnes qui par discrétion ne cherchent pas à imposer leur ego privé aux institutions pour laisser dans l'histoire des sciences sociales quelque empreinte dont elles n'ont guère le souci narcissique. C'est tout juste si on sait qu'elle est à la retraite, d'ailleurs : elle est encore là, toujours aussi productive, et du reste toujours aussi discrète. La retraite, terme ô combien évocateur d'un arrêt supposé de la vie publique et du repli sur la privauté : encore une frontière que Marie-Noële transgresse donc plutôt qu'elle ne la traverse.