Ce travail pose la question de la mémoire vs démémoire scientifique comme argument pour une critique éthique et scientifique de la science (Margalit 2006). On admet que la cumulativité scientifique est une nécessité épistémique. On parlera de « vertu épistémique », à la suite de Zagzebski 1996. Dans cette perspective, la recherche scientifique doit être pour partie fondée sur la connaissance des savoirs antérieurs. Or, on sait qu'une des caractéristiques de la science est au contraire d'oublier ou d'écarter son histoire, et de prétendre se refonder sous forme « révolutionnaire ». Ces refondations peuvent prendre plusieurs formes : la réattribution de savoirs à d'autres chercheurs que leurs inventeurs, ou la découverte, par un paradigme donné, d'un savoir qu'un autre paradigme possède déjà. Dans ces conditions, comment le discours critique peut-il s'exercer ? Un paradigme peut-il être scientifiquement et éthiquement critiqué à cause de sa démémoire scientifique ou de ses déplacements de paternité scientifique ? Comment se construit alors le discours critique et surtout, à partir de quels critères le point de vue éthique se défend-il ? Y a-t-il une morale de la science (Daston 1998) ? On répond à ces questions, dans la perspective de l'analyse cognitive des discours (Paveau 2006) à partir de l'exemple de la réattribution à Bakhtine, à partir des années 1990, de concepts et de catégories appartenant à d'autres chercheurs.