L'œuvre de Botho Strauss est tissée de références aux sciences contemporaines (neurosciences, sciences cognitives, cybernétique, physique, biologie) qui interviennent à la fois comme supports du sens et comme opérateurs formels. Cet usage du savoir vise cependant moins à légitimer une image scientifique du monde qu'à révéler le non-savoir dans lequel s'enracine toute connaissance. En effet, Strauss conçoit la littérature comme le lieu d'élaboration de savoirs qui ne dévoilent les mystères du réel que pour mieux en reconduire l'énigme, frayant ainsi une voie commune au savoir et au secret. Au-delà de ces questions, l'ouvrage s'efforce de cerner le rôle structurant de la science au niveau des structures narratives. Strauss part du constat que l'accélération des processus temporels met en échec la capacité de l'homme à relier ses expériences à l'intérieur d'une « histoire de vie », le privant ainsi de la possibilité de s'éprouver comme un sujet unifié. Au modèle narratif de l'identité, il substitue l'idée, inspirée par les neurosciences, d'une identité « distribuée » dans l'espace du réseau. La question de l'identité se pose alors à un niveau d'organisation qui n'est plus celui de l'individu mais celui du collectif où elle est distribuée : privé de connexion psychologique et corporelle stable, le sujet devient un « être à nombreux personnages », l'ultime figure de ces variations imaginaires par lesquelles la littérature s'efforce de répondre aux mutations anthropologiques en train de s'accomplir.