L'article analyse de manière croisée les rumeurs encore vivantes dans les mémoires locales d'un crime ayant eu lieu en 1916 et les archives judiciaires correspondantes. Certes les archives portent la trace de l'incident qui remonta jusque la capitale du pays. Mais ce sont les analyses des mémoires qui permettent de comprendre le sens donné au fait. L'assassinat d'une femme veuve par le parrain de ses enfants, un homme avec lequel sont tissés des liens de parenté spirituelle marqués par l'interdit d'inceste et le devoir d'entraide mutuelle - est un sommet de barbarie dans le contexte paraguayen. Le niveau de violence remémoré est élevé et les sensibilités sont sous le choc. Surtout les deux figures victime/assassin sont en tous points contraires aux stéréotypes de la femme et de l'homme du paraguay au début du XXème siècle. La femme est étrangère, masculine, dominatrice, elle sacrifie ses enfants, opposée à l'image de la femme paraguayenne, féminine, dominée et qui se sacrifie pour ses enfants. L'homme paraguayen, qui parvient à être grand propriétaire, violent, qui domine les femmes par la contrainte est contraire à la figure de l'homme paraguayen d'après guerre dont la légende veut qu'il ait quasiment disparu et qu'il soit donc mort socialement. Autrement dit, ces rumeurs sont marquées du sceau de la mémoire de la guerre de 1870. Or cette mémoire, en tous les cas à Misiones, est différemment construite par les deux partis en présence. Cette concurrence entre les mémoires politiques nous permet de comprendre pourquoi, ce “fait” apparemment “divers” hante encore les récits des habitants.