Field writing : enquiries in nonfiction contemporary literature
Écritures de terrain. (En)quêtes dans la littérature contemporaine non-fictionnelle
Résumé
For a few years now, a documentary literature has imposed itself in the French literary world. Among these unclassifiable works that combine literature and knowledge of reality, some texts have the particularity of recounting the author's field experience in environments as diverse as the suburbs, the factory, the police force, underprivileged neighborhoods, etc. Using a variety of protocols, these works form a transversal corpus: small observations of daily life such as those proposed by Annie Ernaux, Sylvain Tesson's walks across France or Jean Rolin's Parisian itineraries, open investigations conducted by Emmanuel Carrère or Éric Chauvier, undercover investigations such as those by Florence Aubenas or Geoffrey Le Guilcher. This group is therefore part of several fields: literature, of course, but also journalism as well as human and social sciences. Beyond this generic and subject-based blurring, these works all have the interesting characteristic of being reflexive and of showing themselves as such thanks to an assumed and sometimes even provocative use of the metatext. Despite different protocols and varying degrees of reflexivity, all of these texts question the distance between the author and the observed field. The present research work therefore consists in exploring the epistemological value of these writings by approaching them as experiments, with their results, their failures and their biases, whatever the authors' field of origin. The history of the links between literature and field practice since the 19th century provides the necessary foundations for such a sociopoetic approach to the corpus. Staging the protocols adopted for their investigations in the narratives allows the authors to elaborate postural effects. However, if the epistemological stakes of these field writings are linked to their literarity, this literarity can also be the source of certain ethical and political pitfalls.
Depuis quelques années, une littérature documentaire s’impose dans le paysage littéraire français. Parmi ces œuvres inclassables qui conjuguent littérature et connaissance du réel, certains textes ont la particularité de faire le récit de l’expérience de terrain vécue par l’auteur dans des milieux aussi divers que la périurbanité, l’usine, la brigade policière, les quartiers déshérités, etc. Au gré de protocoles variés, ces œuvres forment un corpus transversal : menues observations du quotidien comme celles proposées par Annie Ernaux, marches de Sylvain Tesson à travers la France ou itinéraires parisiens de Jean Rolin, investigations à découvert menées par Emmanuel Carrère ou Éric Chauvier, enquêtes infiltrées comme celles de Florence Aubenas ou Geoffrey Le Guilcher. Cet ensemble s’inscrit donc dans plusieurs champs : la littérature bien sûr mais également le journalisme et les sciences humaines et sociales. Au-delà de ce brouillage générique et disciplinaire, ces œuvres ont toutes la particularité d’être réflexives et de se montrer comme telles grâce à un usage assumé et parfois même provocateur du métatexte. Malgré des dispositifs différents et des degrés de réflexivité variés, l’ensemble de ces textes interroge d’une façon ou d’une autre la distance qui sépare l’auteur du terrain observé. Le travail de recherche consiste donc à explorer la valeur épistémologique de ces écritures en les abordant comme des expérimentations, avec leurs résultats, leurs échecs et leurs biais, quel que soit le champ d’origine des auteurs. L’histoire des liens entre la littérature et la pratique de terrain depuis le XIXe siècle fournit les fondements nécessaires à une telle approche sociopoétique des textes. Mettre en scène dans le récit les dispositifs adoptés pour leurs enquêtes permet aux auteurs et aux autrices d’élaborer des effets de postures, tout en questionnant la façon dont ils donnent à voir le réel. Ainsi, l’exploration typologique du corpus ouvre une réflexion d’ensemble sur les enjeux éthiques et politiques des écritures de terrain.