From the sedimentary record in karstic environment to the taphonomy of archaeological sites of the Upper Paleolithic (MIS 3-MIS 2) : contributions of the Mas d'Azil cave and the Arize valley (Pyrenees, France).
De l’enregistrement sédimentaire en milieu karstique à la taphonomie des sites archéologiques du Paléolithique supérieur (MIS 3 – MIS 2) : les apports de la grotte du Mas d’Azil et de la vallée de l’Arize (Ariège, France)
Résumé
The North Pyrenean slope is rich in Upper Palaeolithic remains. However, the different cultures are unevenly represented, both chronologically and spatially, giving the image of a strong variability in the occupation of the Pyrenees.
This slope is also dotted with karstic cavities that constitute sedimentary traps, witnesses of past environments. Crossed by the Arize river, the Mas d'Azil cave has preserved evidence of hydrosedimentary dynamics from the last glacial cycle, which are poorly preserved outside. However, understanding them is fundamental as they condition both human occupation during the Upper Palaeolithic and the conservation or otherwise of archaeological contexts. Thus, how can the study of a sedimentary recorder such as the Mas d'Azil cave answer the question of the archaeological gaps of the last ice age?
The inventory and study of sedimentary and archaeological formations makes it possible to propose a global history of the evolution of the Arize and the cave, in which two main phases of sedimentary aggradation have been identified. The first is correlative to the digging of the cave (MIS 6?); the second takes place at the transition MIS 3-MIS 2 and has constrained human occupation of the cave, while playing a major role in the conservation or erosion of the remains.
Thus, gaps are observed in the archaeological occupations in the cave, either chronological (absence of in situ levels from the recent Aurignacian to the ancient Magdalenian) or spatial (differential distribution of the remains during the Magdalenian). So what significance can be attributed to this absence of remains: absence of humans or differential conservation?
In the cave, the perception of the levels of occupation can be partly explained by the different sedimentary processes which followed one another. The Aurignacian levels were covered by several metres of fluvial sediments, which eroded part of them but preserved the levels of the ancient Aurignacian. This phase of aggradation also made the cave inaccessible for several millennia (Gravettian and first part of the Solutrean). Finally, although the geomorphological study does not explain the absence of the Lower Magdalenian in the cave, the analysis and the crossing of the processes that it brings together provide a very precise reflection on the organisation of space, access and movement of the populations inside the cave during the recent middle Magdalenian.
The cave also provides information on the hydrosedimentary dynamics and paleoclimatic conditions on the scale of the Arize valley. The phenomena observed inside the cave have been recorded outside in a degraded way. Despite the difference in resolution, thanks to the comparison with valleys on the North Pyrenean slope such as the Garonne and the Ariège, correlation hypotheses are possible between the recordings in the cave and in the Arize valley.
The Mas d'Azil cave is therefore a very high-resolution recorder of hydrosedimentary responses resulting from climatic fluctuations, particularly during the last glacial cycle. Interdisciplinary studies have enabled the identification of a succession of processes and, by extrapolation, have made morpho-sedimentary indices barely perceptible outside the cave. Through the archaeological evidence it provides us with in their geomorphological context, this cave underlines the importance of the differential taphonomy of the archaeological remains and makes it possible to interpret them, from the scale of the site to that of the valleys of the northern Pyrenean foothills.
Cadre de travail
Cette thèse est fondée sur les recherches menées dans la grotte du Mas d’Azil, qui a fait l’objet de plusieurs diagnostics et fouilles préventives de 2012 à 2018 et de travaux dans le cadre de programme de recherche depuis 2013. Elle constitue par là un exemple de complémentarité entre les résultats d’archéologie préventive et de recherche programmée, tandis qu’elle s’inscrit dans une synergie interdisciplinaire.
Intérêt du site et problématique d’étude
Le versant nord-pyrénéen présente une grande richesse en vestiges archéologiques du Paléolithique supérieur, tout au long du dernier stade glaciaire. Toutefois, les différentes cultures qui le composent sont représentées de façon très inégale, à la fois d’un point de vue chronologique et spatial, donnant l’image d’une forte variabilité apparente de l’occupation des Pyrénées à toutes les échelles.
Ce versant est aussi jalonné de massifs karstiques dont les cavités constituent des pièges sédimentaires, témoins des environnements passés. Cependant, les réponses hydrosédimentaires au cours de la dernière période glaciaire n’y sont pas connues avec précision. Traversée par le cours de l’Arize, la grotte du Mas d’Azil constitue ainsi un piège sédimentaire conservant potentiellement des témoignages de ces dynamiques plus difficiles à identifier à l’extérieur car mal préservées. Or, leur compréhension est fondamentale car elles conditionnent à la fois les occupations humaines durant tout le Paléolithique supérieur mais aussi la conservation ou non des contextes archéologiques.
Ainsi, comment l’étude d’un enregistreur sédimentaire à haute résolution, comme la grotte du Mas d’Azil, peut-elle répondre à la question des lacunes archéologiques de la dernière période glaciaire ?
Résultats À l’échelle de la grotte
La grotte du Mas d’Azil est connue pour ses vestiges du Paléolithique supérieur d’une richesse exceptionnelle, qui ont participé aux fondements de la Préhistoire, donnant d’ailleurs son nom à l’une de ses périodes chrono-culturelle, l’Azilien, tandis qu’elle a donné lieu à des archives, mobilières et manuscrites, d’une richesse et dans un état de conservation exceptionnels. Toutefois, ces informations demeurent parcellaires et dispersées, à l’instar des lambeaux de couches archéologiques qui subsistent dans la grotte.
L’étude des stratigraphies sédimentaires et archéologiques, leur cartographie et leur mise en relation permet maintenant de proposer une histoire globale de l’évolution de l’Arize et de la grotte, dans laquelle deux phases principales d’aggradation sédimentaires ont été identifiées.
La première est corrélative du creusement et de la structuration en boucles karstiques de la majeure partie de la cavité par paragénétisme (MIS 6 ?) ; la seconde se déroule à la transition MIS3-MIS 2 et a fortement contraint l’occupation humaine de la grotte tout au long du Paléolithique supérieur, tout en jouant un rôle majeur dans la conservation ou au contraire l’érosion des vestiges.
Ainsi, des lacunes sont observés dans les occupations archéologiques dans la grotte du Mas d’Azil, certaines chronologiques (absence de niveaux d’occupation in situ de l’Aurignacien récent jusqu’au Magdalénien ancien), d’autres d’ordre spatial (répartition différentielle des vestiges notamment au cours du Magdalénien).
Dès lors, quelle signification peut-on attribuer à cette absence de vestiges : absence des humains ou conservation différentielle ?
Dans la grotte du Mas d’Azil, la perception des niveaux d’occupation (accessibles, cachés ou disparus) est en partie explicable par les différents processus sédimentaires qui s’y sont succédés. Les niveaux d’occupation aurignaciens, en particulier, ont été recouverts par plusieurs mètres de sédiments fluviatiles, qui en ont érodé une partie (Aurignacien récent) mais qui ont préservé les niveaux de l’Aurignacien ancien. Cette phase d’aggradation a également rendu la grotte inaccessible pendant plusieurs millénaires (Gravettien et première partie du Solutréen), avant qu’elle ne le soit de nouveau au milieu du Paléolithique supérieur (Solutréen récent / Badegoulien, dont les traces d’incursions sont localement préservées). Ultérieurement, si l’absence du Magdalénien inférieur dans la grotte du Mas d’Azil n’a pas d’explication d’origine géomorphologique, l’étude géomorphologique, par l’analyse et le croisement de tous les processus qu’elle regroupe (variation des dynamiques fluviatiles, en aggradation ou en incision, des colluvionnements depuis le plateau, des érosions d’origine anthropiques et des phénomènes d’altération des parois) a en revanche permis une réflexion très précise sur l’organisation de l’espace, les accès et les circulations des populations à l’intérieur de la grotte au cours du Magdalénien moyen-récent.
A l’échelle de la vallée
La grotte du Mas d’Azil est aussi un objet géomorphologique qui renseigne sur les dynamiques hydrosédimentaires et sur les conditions paléoclimatiques à l’échelle de la vallée de l’Arize.
Les phénomènes observés à l’intérieur de la grotte ont aussi été enregistré, de façon dégradée, à l’extérieur, sous des formes différentes selon si on se place en amont ou en aval. En aval, six niveaux de replats d’origine fluviatile sont marqueurs d’anciens niveaux de base.
Malgré la différence de résolution, grâce à la comparaison avec certaines grandes vallées du versant nord-pyrénéen comme la Garonne et l’Ariège, des hypothèses de corrélations sont possibles entre l’enregistrement dans la grotte et dans la vallée de l’Arize.
Conclusion : la grotte du Mas d’Azil : un enregistreur haute résolution
La grotte du Mas d’Azil est donc un enregistreur très haute résolution à la fois des réponses hydrosédimentaires et des fluctuations climatiques, en particulier lors du dernier cycle glaciaire. Les études interdisciplinaires ont permis l’identification d’une succession de processus et, par extrapolation, ont rendu lisibles et exploitables des indices morpho-sédimentaires à peine perceptibles à l’extérieur. Par les témoignages archéologiques qu’elle nous livre mais aussi grâce à la lecture de l’évolution géomorphologique des fonds de vallées au cours de la dernière phase glaciaire, elle souligne l’importance de la taphonomie différentielle des vestiges archéologiques, de l’échelle du site jusqu’à l’échelle des vallées de piémont.