Fin 2015, le rétablissement des contrôles aux frontières entre la France et l’Italie amène un grand nombre de personnes en exil, principalement originaires d’Erythrée et du Soudan, à emprunter les sentiers de la vallée de la Roya pour entrer sur le territoire français. Sur le bord des routes montagneuses, des riverains croisent des exilés complètement désorientés et épuisés. Spontanément, certains riverains leur portent assistance en les invitant à venir se reposer quelques temps chez eux. Ces actes sont surveillés de près par les autorités dans un contexte où la vallée de la Roya est devenue un point névralgique de la lutte contre l’immigration. Face à une politique migratoire répréhensive, un mouvement de solidarité s’exprime localement en faveur de l’accueil des exilés. À partir de 2017, la situation fait l’objet d’une importante médiatisation en raison des poursuites judiciaires engagées à l’encontre de riverains, suspectés de faciliter l’entrée et le séjour de personnes en situation irrégulière.Cette recherche en sociologie part d’une expérience bénévole au sein du campement qui s’improvise chez Cédric Herrou, paysan et figure phare de la mobilisation. À partir de cette expérience fondatrice, je propose une ethnographie des lieux d’accueil et des relations d’aide qui se déploient sur le territoire. Je m’intéresse aux épreuves de l’exil lors du franchissement de la frontière, ainsi qu’aux formes de solidarité dites de « proximité », à l’échelle d’un territoire emblématique de la problématique migratoire contemporaine. L’enquête menée pendant quatre années auprès de collectifs militants locaux entend renouveler la thématique de l’hospitalité au regard des spécificités territoriales. Je saisis le phénomène en tant que problème public, en décrivant les procédés d’émergence et de prises en charge de l’accueil des exilés. L’enquête sociologique soulève plus précisément les tensions relatives à la clandestinité et à l’illégalité lors de l’expression publique d’un problème. Dans un contexte européen houleux et face à la recrudescence d’affaires juridiques relatives au « délit de solidarité », la thèse actualise la question de l’engagement citoyen au regard du lien politique avec les personnes exilées. Elle ouvre alors à une interrogation relative au concept de « communauté », appréhendé à partir des difficultés concrètes qui se posent lors de l’accueil d’autrui. Cette recherche à prétention pratique et citoyenne, prolonge avant tout un geste d’engagement et promeut une autre version possible de l’accueil d’autrui.