La thèse de doctorat a eu pour but l’étude des fonctions du passé dans la construction des sociétés égéennes au cours d’une période comprise entre le XIIe et le VIIe siècles avant J.-C. L’analyse des formes de l’utilisation du « passé dans le passé » constitue le paradigme dominant de l’archéologie de la mémoire. Le passé est continuellement rappelé, modifié, réemployé et réintégré dans toutes les cadres d’interaction sociale que comptent les sociétés antiques. Ces réminiscences, considérées comme des phénomènes mémoriels, s’incarnent et s’appuient sur des vestiges matériels que l’on peut étudier dans les contextes archéologiques. Certains d’entre eux ont, très tôt, attiré l’attention des chercheurs et ont fait l’objet d’importantes recherches, à l’image de la réutilisation des ruines, de la permanence de certains traits caractéristiques dans la sculpture et l’architecture, de la réutilisation des tombes ou encore de la mise en place d’un culte destiné aux défunts, considérés comme des ancêtres ou comme des héros selon les cas. De même, la phénoménologie du paysage a mis en valeur l’importance des palimpsestes des anciennes occupations dans le choix d’implantation des habitats, des nécropoles et des sanctuaires. La présence dans les contextes archéologiques d’artéfacts nettement plus anciens a été peu étudiée. Pour pallier ce manque, notre thèse s’est attachée à l’étude spécifique de ces antiquités, en cherchant à établir une liste de celles mises au jour dans les sphères funéraire, domestique, communautaire et rituelle. L’ensemble des données a conduit à l’énoncé de plusieurs problématiques apportant chacune des éléments de réponse à la question centrale : quel(s) rôle(s) la mémoire du passé a-t-elle joué dans la construction identitaire des communautés égéennes durant cette période charnière des XIIe-VIIe siècles avant J.-C., qui voit la disparition du système palatial et la lente élaboration de nouvelles structures sociales, politiques, culturelles et religieuses qui aboutiront à l’émergence du nouveau système de la cité-État ? Après une définition volontairement interdisciplinaire de ce qu’est la mémoire, notion possédant une historiographie complexe, nous avons mis en place une méthode de reconnaissance et d’analyse des antiquités dans les contextes archéologiques, démarche tout à fait nouvelle dans la recherche historique. Ces antiquités ont fait l’objet d’une analyse typologique, qui a permis de mettre en évidence la grande variété des artéfacts conservés tant par leurs matériaux, leurs tailles, leurs fonctions ou encore leurs provenances. On note la prédominance des productions se rapportant au mode de vie des élites, preuve que la réutilisation du passé sert majoritairement dans les stratégies de légitimation et d’affirmation des statuts. Les artéfacts antiques revêtent, aux côtés d’autres productions matérielles spécifiques, le rôle de status symbols. L’analyse typologique alliée à l’analyse contextuelle a également mis en valeur les autres prérogatives de ces antiquités, à savoir leurs fonctions décorative, apotropaïque, prophylactique, talismanique, rituelle et probablement pré-monétaire. La présence de plusieurs antiquités importées a permis d’émettre l’hypothèse d’un possible commerce des antiquités entre les régions égéennes et méditerranéennes, actif aux âges du Bronze et du Fer. La question de l’échange de dons a été abordée, et il semble que ces deux pratiques doivent être considérées comme concomitantes, faisant toutes les deux parties de la même économie des échanges. Ces transferts ont permis la construction d’un mode de reconnaissance sociale commun à plusieurs élites méditerranéennes. Enfin, l’analyse contextuelle du corpus a mis en avant les similitudes et les différences constatées dans l’emploi des antiquités selon leur typologie et la date de dépôt. En parallèle avec les autres phénomènes mémoriels, l’analyse nous renseigne sur l’évolution du rôle de ces artéfacts dans la construction des identités sociales. La prise en considération de l’ensemble des sphères sociales permet enfin de construire une image générale de leur implication dans la construction socio-politique et religieuse des communautés qui formeront la cité-État. La thèse conclue que le passé, et les diverses réutilisations qui en sont faites, ont servi dans un premier temps à l’élaboration du statut et du prestige d’individus cherchant à asseoir leur autorité. Par la suite, ce passé et les phénomènes mémoriels qui s’y attachent se sont progressivement déplacés dans des sphères d’interaction sociale où une partie plus importante de la communauté pouvait en tirer profit. La mémoire du passé et ses réminiscences sont ainsi intégrées de manière de plus en plus importante à des processus sociaux et politiques communautaires, preuve de leur rôle fondamental dans l’émergence et la consolidation des cités-États.