Dans les villes des Suds, une part importante des activités de production et de services relève de l’informel, qu’il s’agisse du commerce, de l’artisanat ou des activités liées à la mobilité des personnes et des biens. La dynamique d’informalisation des transports urbains s’est renforcée ces dernières décennies en Afrique subsaharienne, à la fois sous le coup des plans d’ajustement structurel successifs visant à assainir les comptes publics, et en réponse aux besoins de mobilité quotidienne et d’emploi des populations. L’attitude ambiguë des Etats, entre interdiction stricte et tolérance de facto, contribue également à maintenir de nombreuses activités de transport collectif dans les zones grises de l’informel. Leurs répercussions sur l’activité économique, les conditions de vie et l’accès à la ville sont multiples et leur régulation pose, de ce fait, de nombreuses questions. Dans la capitale du Sénégal, les taxis collectifs sont présents de longue date et le nombre d’opérateurs apparaît en nette augmentation ces dernières années. Non autorisés et décriés par l’Etat mais tolérés, ils jouent un rôle important dans le système de mobilité, répondant à la fois aux besoins croissants de mobilité des habitants dans un contexte de forte extension urbaine, et d’emplois d’une partie de la population masculine (Lesteven et al., 2022). L’objectif de cette communication est de mettre en évidence les facteurs internes à la profession et à l’organisation des taxis collectifs qui concourent au dynamisme de cette activité. Méthodologie Différents travaux de terrain et enquêtes, élaborés selon une méthodologie mixte quantitative – qualitative, ont été menées à Dakar en 2021 et 2022 (Lesteven et al., 2023) auprès d’opérateurs de taxis collectifs, localement appelés taxis clandos : - Une enquête par observation et questionnaire auprès des chefs des « garages » de clandos, l’équivalent des gares routières (169 garages localisés et décrits) ; - Une enquête par questionnaire auprès de 246 chauffeurs de clandos ; - Une enquête par entretien semi-directif (31) auprès des acteurs partie prenantes, chauffeurs de clandos, locataires ou propriétaires, propriétaires-investisseurs et chefs de garage. Ces deux dernières enquêtes, en particulier, apportent des éclairages complémentaires sur le statut et les caractéristiques sociodémographiques et sociales des chauffeurs, leur origine et leurs perspectives professionnelles, les représentations qu’ils ont de leur métier, le temps de travail, sa pénibilité, les organisations mises en place afin de limiter les aléas et incertitudes propres à l’activité, les recettes et dépenses liées à l’activité et les rémunérations. Résultats Dans un secteur avant tout masculin, le métier de chauffeur de taxi collectif est caractérisé par un faible niveau d’instruction. Il se caractérise par une diversité de statuts (propriétaire ou locataire, titulaire ou remplaçant) qui évoluent en fonction de l’âge et du capital disponible pour acquérir un véhicule. Les journées de travail sont longues. L’activité est éprouvante et marquée par l’aléa, avec des fluctuations de la demande et des dépenses imprévues affectant la rémunération ; l’organisation en garages permet de s’en prémunir en partie. Si les rémunérations sont très variables selon les caractéristiques du véhicule, le statut et l’ancienneté du chauffeur, le métier permet à la plupart des chauffeurs de gagner leur vie et d’abonder aux dépenses de leur ménage. Les réalisations personnelles liées à l’activité demeurent modestes, et les envies d’évolution vers d’autres statuts ou d’autres métiers, très répandues. En dépit des conditions difficiles dans lesquelles s’exerce l’activité, le métier de chauffeur demeure attractif pour nombre de jeunes hommes en quête d’un emploi. Les raisons en sont les rémunérations envisageables, les perspectives de changement de statut (devenir propriétaire de son véhicule, le louer à un tiers pour en tirer des revenus, etc.) et, plus largement, l’espoir d’avoir une évolution professionnelle favorable dans le monde des transports. Ces éléments de compréhension de la dynamique des taxis clandos contribuent à la réflexion sur un cadre et des modalités de régulation publique qui prennent mieux en compte les réalités quotidiennes du métier de chauffeur et qui permettent une réelle intégration de ce mode de transport dans le système de mobilité dakarois. Plus largement, dans un contexte de transformation de l’offre de transport urbain en Afrique, ces résultats contribuent à alimenter la compréhension du fonctionnement et des dynamiques propres au transport informel ou artisanal.