Prenant acte d’une division du travail politique toujours plus marquée entre « professionnels » et « profanes », la sociologie politique a parfois tendance à oublier que le champ de l’activité politique, pour différencié et spécialisé qu’il soit, n’est pas exclusivement peuplé de professionnels expérimentés. Il est aussi fréquenté et animé par des novices, des amateurs, des intermittents de la politique qui assurent des médiations avec les autres mondes sociaux et contribuent aussi, pour partie, à son recrutement. L’objectif de ce dossier est donc d’étudier les rapports que les citoyens dits « ordinaires » entretiennent durablement ou de façon plus occasionnelle avec la politique « officielle » et avec « les » politiques. Il existe ainsi de nombreuses occasions et modalités d’interactions entre professionnels et citoyens en dehors du vote ou des dispositifs de démocratie participative. Ces derniers sont loin d’être toujours un public passif. Ils adressent toutes sortes de demandes aux institutions politiques, s’organisent collectivement pour protester dans l’espace public et se trouvent aussi parfois en situation de représentation (d’organisations, d’intérêts, de groupes, de communautés) sans pour autant s’appuyer sur une organisation structurée, sur des savoir-faire éprouvés ou sur du capital militant accumulé. Ce sont précisément ces points de contact entre « profanes » et champ politique que nous nous proposons d’aborder, en portant toute l’attention sur les interstices que la littérature scientifique tend à négliger lorsqu’elle fige exagérément la coupure entre professionnels du métier politique et simples citoyens. Cette césure existe bel et bien. Mais en la tenant pour un vide relationnel ponctuellement animé par les séquences de mobilisation électorale ou de concertation procéduralisée, on risque de laisser dans l’ombre l’ensemble des transactions frontalières entre l’espace de la politique et les citoyens. L’espace spécialisé et institué de la politique n’est en ce sens jamais totalement fermé à la présence ou à l’intervention de « profanes » qui cessent alors de l’être complètement, sans pour autant pouvoir être appréhendés comme de véritables professionnels. Ils sont en quelque sorte des « novices », des « intermittents », « des amateurs » qui n’en font pas leur métier ou leur activité principale (ou pas encore) et n’en maîtrisent pas totalement les codes et les rituels. Ils font avec la politique et les politiques, plutôt qu’ils ne font de la politique. En se focalisant sur des espaces bien délimités, et en abordant de façon séparée d’un côté les professionnels, de l’autre les profanes, on délaisse les zones grises entourant les frontières du politique. C’est précisément à l’exploration de ces zones grises, de ces espaces frontières et des néophytes qui y évoluent qu’ambitionnent de contribuer les articles rassemblés dans ce dossier.