Depuis le XIXe siècle, les scientifiques du vivant ont acquis progressivement un quasi-monopole de la prise de parole sur la « question animale » et la définition des interactions et des représentations légitimes vis-à-vis des animaux, qu’il s’agisse de leur corps (biologie), de leurs comportements (éthologie) ou plus tard de leur sensibilité (animal welfare science).. Mais cette hégémonie se trouve finalement remise en cause à partir des années 1970, lorsque des universitaires issus pour l’essentiel des facultés de philosophie d’Amérique du Nord et de Grande-Bretagne, engagés préalablement dans des mouvements pro-animaux, se saisissent de la « question animale ». Parmi eux, Peter Singer, jeune philosophe, qui publie « Animal Liberation », ouvrage s’adressant tout à la fois aux militants et activistes (affectés par le reflux des luttes sociales en désignant la cause animale comme nouveau et ultime mouvement d’émancipation) ainsi qu’à ses pairs universitaires, auxquels il entend montrer la nécessité de la philosophie morale et du courant de l’éthique appliquée dont il se revendique pour traiter des grands problèmes contemporains comme cette problématique. Le succès du livre est alors à l’origine de plusieurs changements conséquents ayant eu lieu durant les 40 dernières années : (1) la parole des animaux, la formulation de leurs intérêts, s’énoncent depuis un point de vue académique, se situant plutôt du côté des humanités, tout en se réclamant de la cohérence et de la rationalité (2) les mouvements pro-animaux, forts de ce succès académique, se voient redynamisés et de nouvelles formes d’engagement voient le jour (les mouvements antispécistes, abolitionnistes, ou pour les droits des animaux) (3) un nouvel espace académique émerge autour de la question animale (les animal studies), au sein duquel les sciences sociales vont chercher à documenter les évolutions récentes des rapports humains-animaux (incarnées notamment par les nouvelles formes de militantisme pro-animaux). S’instaure ainsi une forme de relation circulaire entre un activisme revivifié par le monde académique, et un monde académique donnant du sens et parfois du crédit à cette nouvelle vague de militantisme. Nous chercherons dans cette communication à tirer les conséquences épistémiques, politiques et morales de cette dynamique d’instauration d’une cause comme produit d’une articulation entre savoirs académiques et militants. A partir d’une revue de littérature des travaux portant sur les mouvements pro-animaux, nous montrerons ce que le plus ou moins grand degré d’adhésion de leurs auteurs à la cause animale permet de mettre en lumière à propos de ces mouvements et ce qu’il empêche de voir ou de dire. Il s’agira dès lors de comprendre comment les savoirs sociologiques participent à la formalisation des mouvements sociaux en tant qu’espaces de réflexivité militante ou en tant que « boites noires » idéologiques.