L'apothéose du 20 vendémiaire couronne le culte qui s'est développé autour de la figure de Rousseau dès avant 1789, mais auquel la Révolution donne une tonalité particulière. Qu'ils l'aient mal compris ou allégué à contre-sens, les révolutionnaires se sont reconnus dans l'auteur du Contrat Social, perçu comme la charte du monde nouveau. La rencontre avec Rousseau se greffe sur la dévotion « sensible », inspirée de la souffrance endurée sous un ordre injuste, et se fait à l'époque autour de l'idée morale de régénération, quand surgit avec la liberté le mythe de l'homme nouveau dont il est tenu pour l'inspirateur charismatique 1. Nathalie Robisco a montré comment en 1789, avec l'édition de la seconde partie des Confessions, s'établit un rapport personnel, empreint d'affectivité, où dominent les thèmes du « pèlerinage » aux lieux où il a vécu et médité, de la « rencontre » et de la « présence » de Rousseau, à travers les correspondances et les témoignages de ceux qui l'ont connu. Ce travail de la mémoire qui réhabilite l'auteur des Confessions comme « une figure de la sensibilité » permet d'élaborer, avec la fondation de la République, un discours sur « Rousseau révolutionnaire », auteur du Contrat Social et d'Émile, reconnu comme « phare des législateurs » 2. La panthéonisation de Rousseau, qui se tient dans la période trouble qui suit Thermidor, est une fête ambiguë, mais une grande fête nationale à la manière de celles de l'an II. Quel rapport cet ultime rendezvous du philosophe et de la Révolution entretient-il avec les enjeux politiques et culturels du « moment thermidorien » ? Dans quelle mesure la pensée de Rousseau peut-elle s'apparenter à la mutation des représentations et à la réflexion sur les institutions et la morale publique ? On peut se demander aussi dans quelle mesure la fête dépasse les enjeux conjoncturels pour tendre vers une synthèse de la rencontre avec Jean-Jacques Rousseau, dans le sentiment éphémère d'un bonheur partagé.