Peut-on expliquer la propension de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) à l’activisme dans les années 1960 et 1970, la tendance à la retenue dans les années 1980 et 1990 et un nouvelle période d’activisme sectoriel recente par les caractéristiques de ses membres, qu’ils soient juges ou avocats généraux ? Quels sont les facteurs déterminant l’attitude des juges et avocats généraux, et leur oeuvre jurisprudentielle ? Les outils employés pour répondre à cette question ne sont toutefois pas les mêmes chez les juristes, politistes et historiens. Il existe, chez les juristes une connaissance fine de la jurisprudence et des méthodes d’interprétation de la CJUE, mais un intérêt moindre pour les juges, leur origine, leur profil sociologique et, de manière générale, pour les conditions politiques d’élaboration des décisions jurisprudentielles. Les historiens et les politistes, au contraire, se soucient des motivations politiques qui animent la Cour depuis les années 1950, soulignent qu’elle est un acteur politique, au risque d’oublier qu’elle a aussi et avant tout assuré un rôle juridictionnel issu des traités. Certains de ces travaux expliquent la jurisprudence de la CJUE et son inclinaison pro-intégration par la sociologie de ses juges, leur origine professionnelle, leur champ de spécialisation (droit interne plutôt que droit international), leur appartenance à des réseaux. Si les travaux historiques ont leur utilité, ils ne parviennent pas – ou ne cherchent pas – à fournir des analyses sous forme de grandes tendances explicatives, tandis que les travaux en science politique sont peu nombreux et appuyés sur des exemples plutôt que sur des données générales.L’objectif de ce chapitre est ainsi de répondre à la question de savoir si la position jurisprudentielle de la CJUE peut-elle être expliquée par la sociologie de ses membres ? Nous examinerons différentes variables liées à l’origine des juges et avocats généraux, sur le temps long et au-delà des seuls arrêts fondateurs du droit européen (Van Gend en Loos C-26/62, 1963, Costa c. Enel C-6/64, 1964), avant de nous tourner vers d’autres facteurs explicatifs, liés au contexte politique, institutionnel et juridique dans lequel les membres de la CJUE évoluent.