D’où, avec quoi et comment regarde-t-on un objet physique ou social ? Comment donne-t-on à voir un phénomène physique ou social ? Il y a évidemment plusieurs façons de regarder qui seront plus ou moins qualifiées d’« académiquement correctes ». Dans l’acte scientifique il est admis que nous travaillons à la représentation d’un objet physique ou social. Le regard est construit socialement et culturellement. Si, comme le disait Merleau-Ponty, "regarder un objet, c'est venir l'habiter et de là saisir toutes choses selon la face qu'elles tournent vers lui", l’astrophysicien comme l’anthropologue démontrent ici qu’ils n’éclairent que certaines faces des objets étudiés. Nous voyons à travers une structure de préhension, une anticipation de sens qui nous lie à l'objet ; nous avons accepté que la compréhension passe par une distance qui sous-tend toute activité de traduction, entre éloignement et appropriation, entre l'Autre et nous-même. Cette distance focale est à repréciser à chaque instant. On peut ajouter que nous cherchons à reconstruire un fragment de réalité physique ou sociale découpé selon certaines normes de savoir, en donnant à voir peut-être plus certaines faces que d'autres. L’anthropologue, plus que l’astrophysicien, est confronté à une diversité de normes scientifiques situées au centre ou aux périphéries de l’espace reconnu comme académiquement correct. Le processus de production de la connaissance naît d'un continuum entre théorie et pratique. En astrophysique et en anthropologie le chercheur construit une écologie des conditions de la production de l'activité, la pratique, la tâche scientifique, éléments qui entretiennent entre eux des relations complexes, multiples, dialectiques, conflictuelles, voire contradictoires. Rien n'est jamais prédéterminé, le travail scientifique reste de l'artisanat, du bricolage qui signifie chercher des arrangements entre différentes formes de savoirs, entre des savoirs tacites et des savoirs plus communs, entre des savoirs "scientifiques" et des savoirs liés à des cultures spécifiques. Derrière la figure de l’astrophysicien et celle de l’anthropologue on voit comment s’inventent des méthodes plurielles et complexes dans des disciplines distinctes et comment s’exprime le souci d'échapper à des théories qui se présentent et se veulent unificatrices dans le domaine des sciences physiques ou sociales.