Dans cet article, nous étudions la place des Lumières dans la pensée de Saint-Simon et de Comte, chez qui cette notion est au service d'un projet de société pacifiée, expurgée de sa pluralité interne et dominée par une élite de savants et d'industriels. Plus précisément, nous souhaitons démontrer qu'en défendant ce projet contre ce qui, à leurs yeux, le menaçait dans la France du XIXe siècle (la persistance de la liberté de conscience et de la souveraineté du peuple), ces deux auteurs ont également décrit avec perspicacité les enjeux de la modernité, élaborant un cadre conceptuel qui permet de la penser dans sa complexité. A des fins polémiques, ils ont diagnostiqué avec précision le fonctionnement de leur adversaire – le régime démocratique et libéral – et ils ont atteint en cela une compréhension lucide des ressorts philosophiques de la phase de mutation entamée en 1789. On découvre ainsi chez eux une réflexion sur les Lumières, sur leur ambivalence et ses conséquences pour l'évolution de la pensée politique. Sans oublier leur envers : notre objectif est de déduire de l'œuvre de Saint-Simon et de Comte une définition opératoire – en dépit de son caractère indirect et impensé – de l'obscurantisme.