Eecension de l’ouvrage de Thierry Lefebvre, Dans la pharmacopée d’Antonin Artaud. Le laudanum de Sydenham, Paris, Éditions le Manuscrit, 2022, - Archive ouverte HAL
Article Dans Une Revue (Compte-Rendu De Lecture) Revue d'histoire culturelle. XVIIIe-XXIe siècles Année : 2023

Eecension de l’ouvrage de Thierry Lefebvre, Dans la pharmacopée d’Antonin Artaud. Le laudanum de Sydenham, Paris, Éditions le Manuscrit, 2022,

Résumé

Entrer « dans la pharmacopée d'Antonin Artaud », c'est interroger une figure majeure de l'histoire des usages de stupéfiants, mais aussi des manifestes et prises de position qu'ils ont suscités. Tous les spécialistes connaissent en effet les deux textes essentiels d'Artaud sur le sujet, ici reproduits in extenso : « Sûreté générale : la liquidation de l'opium », publié dans le n°2 de La Révolution surréaliste en janvier 1925, et la « Lettre à monsieur le législateur de la loi sur la stupéfiants », inclus, la même année, dans le recueil L'Ombilic des limbes. Ces deux textes, véritables cris de révolte et de souffrance, dénoncent avec virulence les nouvelles entraves à la vente des stupéfiant imposées par la loi de 1916. Ils émanent d'un homme qui se décrivait volontiers lui-même comme un « haillon vivant », et consommait à haute dose des opiacés, pour tenter d'apaiser l'inextricable écheveau de douleurs physiques et psychiques qui l'accablait depuis son enfance. Additionnés de nombreuses déclarations faites au gré de l'oeuvre et de la correspondance, ces deux textes ont valu à Artaud le statut d'un « chantre des drogues », quelque part entre Thomas De Quincey et Timothy Learystatut que semblait cautionner la radicalité de son existence et de son écriture.

Les spécialistes de l'écrivain comme les historiens des toxicomanies, savent pourtant de longue date que « le cas Artaud » fut très particulier, et en vérité fort peu conforme à cette image de « rebelle défoncé », tant du point de vue de l'argumentaire -qui prône le droit des malades à apaiser leurs souffrances -que du produit utilisé par Artaud jusqu'au début des années trente, le laudanum. Comme l'indique le sous-titre de l'ouvrage, cette potion est la clé d'entrée retenue par Thierry Lefebvre, historien des médias et de la pharmacie, à qui on doit plusieurs ouvrages sur l'histoire des maladies et des médicaments. Si l'angle est en ce sens assez pointu, il est loin d'être anecdotique, car il forme le carrefour principal des paradoxes d'Artaud : ce n'est pas seulement l'histoire d'un produit qui est menée ici, avec un excellent équilibre entre clarté et précision, mais l'analyse d'un rapport spécifique aux drogues -pas si lointaine de celle d'un Roger Gilbert-Lecomte, voire, plus tard, d'une Françoise Sagan -, et qui illustre le complexe feuilletage que dissimule le terme trop réducteur de « toxicomanie ».

En effet, lorsque Artaud commence à se faire prescrire du laudanum, en mai 1919, à l'occasion d'un traitement en clinique pour « lutter contre les états de douleurs errantes et d'angoisse » (cité p. 16), le produit est à la fois périphérique et en déclin. Mis au point vers 1669 par le médecin anglais Thomas Sydenham, le laudanum est un « vin d'opium contenant de l'opium, du vin d'Espagne, du safran, de la poudre de cannelle et de la poudre de clous » (p. 55). Il ne s'agit en réalité, que de la déclinaison d'un type de potions opiacées dont les origines remontent à la plus haute Antiquité, et dont le médecin suisse Paracelse avait déjà fixé, au début du XVIe siècle, une forme canonique. Lui succèderont, entre autres, l'élixir parégorique ou, en France, le laudanum de Rousseau. Mais c'est bien le laudanum de Sydenham qui, aux XVIIIe et XIXe siècles, s'impose en Grande Bretagne, puis sur le reste du continent, comme remède à tout faire, dispensé très librement par les apothicaires et droguistes de l'époque.

« Médicament miracle », le laudanum a aussi joué un rôle essentiel dans l'histoire culturelle des drogues, puisque, comme le rappelle Thierry Lefebvre, c'est de la « teinture d'opium » qu'utilise, vers 1804, l'écrivain anglais Thomas De Quincey pour calmer « d'atroces douleurs rhumatismales dans le crâne et le visage » (p. 57). À des fins thérapeutiques, donc, mais pour basculer presque immédiatement dans une expérience

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  • HAL Id : hal-04852092 , version 1

Citer

Emmanuelle Retaillaud. Eecension de l’ouvrage de Thierry Lefebvre, Dans la pharmacopée d’Antonin Artaud. Le laudanum de Sydenham, Paris, Éditions le Manuscrit, 2022,. Revue d'histoire culturelle. XVIIIe-XXIe siècles, 2023, 6. ⟨hal-04852092⟩
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