Les femmes employées à bord des navires de la marine marchande sont encore peu nombreuses aujourd’hui. Au début des années 2000, elles ne représentaient que 7,6 % du personnel navigant de l’Union européenne, toutes activités maritimes confondues ; et c’est essentiellement dans les métiers de service sur les paquebots et ferrys que leurs effectifs se concentraient. Cette ségrégation professionnelle est ancienne, pour ne pas dire propre à la « cosmologie marine [qui] révèle la place historiquement indésirable sinon menaçante du féminin et des femmes à bord des navires ». Le personnel féminin est inexistant sur les cargos des principales compagnies maritimes françaises jusque dans les années 1950 au moins. Sur les paquebots toutefois, cette main d’oeuvre se développe dès le XIXe siècle, d’abord comme une nécessité sociale pour encadrer les migrantes, puis comme une exigence commerciale pour attirer une clientèle féminine aisée. L’historiographie britannique ouvre de riches perspectives et fait l’objet d’une attention croissante par ailleurs. Des projets tel que Women on the move promettent d’élargir ces connaissances. Si la présence des femmes dans les mouvements migratoires transatlantiques est désormais explorée par les historiens, la place et le rôle des femmes navigantes restent encore à découvrir, en particulier du point de vue français. Cette étude nuance néanmoins l’idée de transgressions de genre récurrentes chez les navigantes pour davantage entrevoir des échappées aux assignations sociales ou familiales. Les cas recensés concernent des femmes issues de milieux modestes et urbains qui occupent des emplois de service qui leur sont traditionnellement réservés à terre. Elles sont gens de mer, pas marins. Leur situation et leurs parcours n’en sont pas moins originaux dans le contexte de l’époque et donnent les lignes directrices de ce travail : elles doivent s’adapter à un univers maritime confiné, régi et codé par des hommes ; indispensables au service commercial de la compagnie, elles sont recrutées avec difficulté pour la variété et la complémentarité de leurs compétences ; de retour à terre, leur statut est changé par cette expérience. La mobilité professionnelle est donc source de mobilité sociale.