La reconnaissance professionnelle et artistique dont Cocteau jouit depuis La Belle et la Bête (1946) fait de lui un personnage incontournable du cinéma français : Cocteau est devenu maître d’une vision cinématographique qu’il va affiner jusqu’au Testament d’Orphée, écrit et tourné en 1959, dans lequel il entreprend un récit de soi cinématographique. La fin des années 1950 correspond à une période paradoxale pour le poète : reconnu officiellement comme « auteur de cinéma », il est couvert d’honneurs publics divers, tandis que ses demandes de financements de ses projets cinématographiques sont rejetées. Dans son journal intime, Cocteau enchevêtre, de façon inextricable, les difficultés et les manquements du système industriel en charge du milieu cinématographique avec l’espoir sincère qu’il place dans la jeune génération des cinéastes, tel qu’il l’exprime dans un article du Monde (25 juil. 1959), filant à dessein la métaphore testamentaire de son dernier film. Le fait qu’il soit lui même célébré comme l’un de leurs « pères » ne gâche en rien le plaisir qu’il ressent, tandis qu’il perçoit que les jeunes Turcs opèrent une révolution politique et artistique sur les enjeux du cinématographe. Cocteau et la « Nouvelle Vague » se retrouvent également à propos de la place à accorder au scénario. Le poète croit fermement à l’autorité du metteur en scène : c’est une raison pour laquelle la Nouvelle Vague le respecte. Le triomphe de la « politique des auteurs » ne fait donc que renforcer et conforter les convictions de Cocteau au sujet du fait que le scénario doive servir le film. Il n’importe pas d’évoquer outre mesure le travail d’écriture, puisque la mise en scène domine le travail filmique. Le nombre d’états existant pour Le Testament d’Orphée paraît contradictoire avec cette vision des choses : le recours à l’étude génétique permet en effet de parcourir ces quatorze états scénaristiques du Testament d’Orphée et de saisir, au-delà des circonvolutions liées à la production, les objectifs de Cocteau pour ce dernier film. La génétique scénaristique montre combien ce dernier récit de soi renoue avec la rédaction simple de son premier film, Le Sang d’un poète (1930), tout en privilégiant une esthétique que Cocteau qualifie lui-même d’ « amateur » : il s’agit de se libérer des contraintes imposées par l’industrie pour retrouver une manière de faire plus personnelle, plus intime. Se présentant comme une promenade déroulée au gré des rencontres, Le Testament d’Orphée déploie une métaphore du déplacement en tant que quête de la postérité artistique. En cela, le film répond à des enjeux de monstration, et surtout de monstration de soi soumise aux regards d’autrui. Cocteau mêle les données biographiques aux éléments de ses propres fictions pour semer le doute et souligner à quel point son œuvre est bâtie par des effets d’échos et de renvois, notamment métaleptiques. À partir de l’étude de deux séquences, cette communication a donc pour but de mettre en lumière ce qu’apporte la génétique scénaristique à notre compréhension des pratiques d’écritures des auteurs de cinéma, à partir de l’exemple de Cocteau. En somme, les archives témoignent des difficultés rencontrées auprès des sociétés de production, autant que des solutions trouvées auprès d’amitiés nouvelles, mais aussi du développement d’une esthétique cinématographique propre à un auteur à partir des différents états du texte.