Lieu d’habitation et d’exploitation agricole structurant la société landaise du Moyen-Âge au milieu du XIXe siècle, l’airial landais apparaît comme une matérialisation spatiale qui renvoie au double sens de Thomas More utopie/eutopie, à la fois « lieu de nulle part » et « lieu du bien ». L’approche géohistorique adoptée dans cette communication met en évidence le processus syncrétique qui co-construit l’airial landais en diachronie, mais aussi en synchronie. Selon une logique cumulative, ce lieu fusionne les marques de plusieurs utopies.
L’utopie technique du XIXe siècle, marquée par l’afforestation massive du plateau des Landes de Gascogne, vise le désenclavement et la modernisation de cette région considérée comme une terre vierge à coloniser. Au XXe siècle, l’aménagement de la côte aquitaine relève d’une utopie touristique balnéaire, tandis que la redécouverte des bâtis vernaculaires fait de l’airial landais l’archétype d’un paradis vert perdu. Au XXIe siècle, la prise de conscience des impératifs environnementaux opère une relecture réflexive des caractéristiques de l’airial landais. Le mode de construction bioclimatique ainsi que le système agropastoral, qui ont déterminé son organisation socio-spatiale, font l’objet d’un intérêt renouvelé qui prend également la forme d’une vicariance. À l’époque contemporaine, l’intrication des questions liées à la propriété, au bonheur et à la nature compose une « utopie rétrospective » qui participerait de la naissance de « nouvelles ruralités ». Sous-tendu par des réflexions d’ordre éthique, qui concernent la relation entre humains et non-humains, et par la recherche de nouvelles modalités juridiques concevant le droit de propriété comme faculté d’habiter et non possession des objets, ce changement de paradigme ne s’actualise pas nécessairement dans l’expérience habitante. S’il peut être envisagé en tant qu’utopie réinventée à l’aune du « vivant », l’airial landais n’en demeure pas moins un lieu en prise avec des difficultés économiques et sociales, et son devenir se dessine également sur un plan politique.