L’entrée en littérature de Monique Wittig, avec la parution de L’Opoponax, se fait par un double coup d’éclat. D’une part, en novembre 1964, son premier roman reçoit le Prix Médicis décerné par un jury composé de Claude Simon, Marguerite Duras et Nathalie Sarraute, et l’emporte haut la main sur d’autres concurrent.es (dont La Bâtarde de Violette Leduc, pourtant soutenue par Simone de Beauvoir) : dans le champ littéraire, c’est une victoire des partisan.es du Nouveau roman sur les tenant.es de l’existentialisme, et Wittig inaugure un nouveau mode d’intervention politique de la littérature qui prend le pas sur la théorie sartrienne de l’engagement. D’autre part, L’Opoponax détonne aussi en évacuant, dès sa première phrase, les poncifs sur la « différence-des-sexes » et donne à lire le récit d’une subjectivité d’enfant lesbienne, quelques années après que la législation française a classé l’homosexualité parmi les fléaux sociaux (amendement Mirguet, 1960) : la réception littéraire féministe souligne cette dimension novatrice de l’écriture wittigienne qu’elle interprète à l’aune de ses articles théoriques postérieurs. Il s'agit d'examiner ces deux traditions critiques, souvent antagonistes, en s’appuyant sur la réception de L’Opoponax : celle de la presse de 1964 (où l’écriture du lesbianisme est passée sous silence) et celle de la critique féministe (où les innovations formelles sont rarement rapportées au moment littéraire du Nouveau roman). Dans les deux cas, ces stratégies interprétatives, qui construisent (craft) une lecture de l’œuvre, enrôlent (draft) Wittig dans un camp : celui de l’avant-garde esthétique des années 1960 (au risque de conclure à l’« illisibilité » de l’œuvre wittigienne et à son échec politique, cf. Bourcier 2012) ou celui de la littérature lesbienne (au risque d’appréhender les innovations formelles à partir d’une conception postérieure du lesbianisme wittigien).