Les épopées homériques font de la mer un espace anti-héroïque. La construction d’une aristie dans le contexte d’une bataille navale est donc impossible dès les origines du genre élevé. L’étude des deux premiers récits de bataille navale poétiques qui nous soient parvenus nous permet de constater l’ambiguïté essentielle de l’espace marin comme fabrique du héros. Si dans les Perses, on peut trouver une certaine héroïsation des Grecs à Salamine, d’inspiration iliadique, c’est au prix de l’effacement fréquent des combattants au profit des vaisseaux ou des puissances divines. Eschyle innove dans le genre élevé en élaborant un héroïsme collectif propre à l’espace marin et faisant écho au fonctionnement de la cité athénienne, mais l’horreur du massacre en mer tord cette image positive en convoquant des images monstrueuses issues de l’Odyssée. Dans l’Enéide, on retrouve une élision partielle de la bataille, la présence d’un choc qui ne distingue pas les deux partis et la disparition des acteurs humains. Les nécessités de l’épopée ne sont remplies que partiellement, certainement afin de masquer l’horreur de la guerre civile. Nous retrouvons en outre dans les deux œuvres le développement du thème pathétique des victimes de la guerre en mer : cet espace altère donc radicalement la représentation du combat pour en faire un objet ambigu, créant davantage d’horreur et de pathétique que de gloire.