Nous ne disposons pas à ce jour d’éléments de compréhension et de caractérisation des moments de bifurcation, c’est-à-dire un moment particulier du processus où les changements sont importants et qui se situe à la charnière de deux phases institutionnelles, marquant le passage de l’une vers l’autre (Bidart et Brochier 2010). Nous nous attachons alors à combler ce manque et à investir cet impensé théorique en formulant la question de recherche suivante : comment expliquer le changement institutionnel et en caractériser les ressorts au sein des réseaux territorialisés d’organisations (RTO) de l’ESS ? Nous proposons pour ce faire de conduire deux études de cas comparatives sur des RTO de type tiers-lieux. Définis comme des espaces d’expérimentation et de création d’activités polymorphe du fait du partage de machines, d’outillage, de savoirs ou de savoir-faire (Colmellere et al. 2019) mais ayant comme point de convergence de se passer dans un même lieu où les individus se plaisent à venir pour rencontrer d’autres individus (Oldenburg 1999), les tiers-lieux nous semblent constituer un cas d’école de pluralisme institutionnel et donc un terrain privilégié d’appréhension du changement institutionnel. En effet, les agencements évolutifs des logiques sociale, marchande, réciprocitaire et territoriale donnent lieu à des bifurcations qui peuvent être analysées en profondeur. Les réseaux de tiers-lieux corses et dignois mettent en lumière deux bifurcations singulières, qui se traduisent dans le premier cas par un « passage de relai » au niveau de la gouvernance et dans le second par le repérage « opportuniste » d’une nouvelle modalité de développement territorial décidée par l’animateur de réseau.