La fertilisation des champs durant l’Antiquité : étude expérimentale du parcage de bétail et son effet sur la composition isotopique des céréales
Résumé
Research on farming techniques and field fertilisation practices has been enhanced in the last 20 years by biogeochemical analyses of archaeobotanical remains. The isotopic composition of plants reflects their growth conditions, and studies have shown that δ15N values are linked to the amount and frequency of manure application. Archaeobotanical studies have been used to document various agropastoral societies, particularly during the Neolithic period in Europe and the Mediterranean basin. In France, these studies have also covered the Second Iron Age and Roman periods as part of a postdoc (ERC RurLand, 2017) and a thesis (Muséum national d'Histoire naturelle, 2022). The studies have shown that fertilisation was commonly used between 500 BC and 500 AD.
However, the biogeochemical methods currently available are unable to identify the nature of this organic fertilisation. In addition to the use of animal or human manure, Latin authors (Cato, Varron, Columella, Pliny, Palladius) describe the use of composting various domestic and craft wastes, as well as the techniques of green manure and mobile livestock penning. Composting seems above all to be a complement to manure production. Green manuring involves sowing a cover crop of leguminous plants, not for food production, but to cut it before seed maturity and bury it for on-site decomposition. Penning is a method of animal husbandry in which livestock (usually sheep) are herded onto plots to be fertilised after grazing them so that the animals can defecate.
Experiments were conducted to assess the effect of fertilisation techniques on the isotopic composition of cereals. The penning study in Esse, Charente showed a similar effect of direct sheep dung and manure. Therefore, high values of δ15N in archaeological cereals may correspond to these two fertilisation techniques. It is necessary to have knowledge of the breeding modes (extensive grazing vs. in stabulation) of the agropastoral societies studied to characterise the agricultural work. A second experiment involving green manure is currently underway in Rostrenen, Côtes-d'Armor, but has not yet yielded any results. The experiment aims to determine the effect of leguminous manure on the isotopic nitrogen signature of cultivated grains. It is expected that the isotopic nitrogen signature will be lower when leguminous manure is used compared to animal manure. This will help verify the type of fertilizer used on free-threshing wheat in the Paris basin during the early Roman period.
By documenting fertilisation techniques, we can study farming systems and understand the links between farming methods, fallow land and crop succession.
Les recherches sur les techniques agricoles et les pratiques de fertilisation des champs se sont enrichies ces 20 dernières années avec l’apport des analyses biogéochimiques des restes carpologiques. La composition isotopique des plantes reflète leurs conditions de croissance et il a été montré que les valeurs de δ15N étaient corrélées à la quantité et à la fréquence d’apport de fumier. Des études archéobotaniques ont exploité ces connaissances pour documenter différentes sociétés agropastorales, en particulier du Néolithique européen et du bassin méditerranéen. En France, ces études ont aussi concerné les périodes du second âge du Fer et romaine dans le cadre d’un postdoc (ERC RurLand, 2017) et d’une thèse (Muséum national d’Histoire naturelle, 2022) et ont montré un usage courant de la fertilisation entre 500 av. J.-C. et 500 ap. J.-C.
Cependant, la nature de cette fertilisation organique n’est pas encore identifiable par les méthodes biogéochimiques. Outre l’usage de fumier animal ou humain, les auteurs latins (Caton, Varron, Columelle, Pline, Palladius) décrivent le recourt au compostage de divers déchets domestiques et artisanaux, mais aussi les techniques de l’engrais vert ou du parcage mobile du bétail. Le compostage semble surtout un complément à la production de fumier. L’engrais vert consiste à semer un couvert végétal composé de légumineuses, non dans l’objectif de produire une denrée alimentaire, mais pour le faucher avant maturité des graines et de l’enfouir pour qu’il se décompose sur place. Le parcage est une mode d’élevage qui demande de conduire les troupeaux (généralement d’ovins) sur les parcelles à fertiliser après les avoir fait pâturer pour que les animaux y défèquent.
Des expérimentations ont été mises en place pour évaluer l’effet de ces techniques de fertilisation sur la composition isotopique des céréales. L’étude du parcage (Esse, Charente) a montré un effet similaire des déjections directes de mouton et du fumier. Des valeurs élevées de δ15N de céréales archéologiques peuvent donc correspondre à ces deux techniques de fertilisation, et il faut alors une connaissance des modes d’élevage (pâturage extensif vs. en stabulation) des sociétés agropastorales étudiées pour caractériser les travaux agricoles. Une deuxième expérimentation portant sur l’engrais vert (Rostrenen, Côtes-d’Armor) est en cours et n’offre pas encore de résultats. Nous attendons une signature isotopique de l’azote de céréales cultivées après la légumineuse plus faible que lors d’apport de fumier ou déjections animales. Cette expérimentation permettra de vérifier le type de fertilisant utilisé au début de la période romaine sur les blés nus du Bassin parisien.
La documentation des techniques de fertilisation permet ainsi de s’intéresser aux régimes agricoles et de comprendre l’articulation entre modes d’élevage, espaces en jachères et successions culturales.