Cette contribution porte sur un espace urbain très particulier : les kuzu sont des espaces récréatifs d’un genre nouveau qui se développent depuis une quinzaine d’années dans la ville de Kinshasa au Congo. Ils ont pour caractéristique principale d’être des lieux cachés, des lieux obscurs. Très prisées par les citadins qui veulent se récréer « sans être vus », ces chambrettes de tolérance concurrencent de plus en plus les autres espaces récréatifs. Pourquoi rencontrent-ils un tel succès ? Pourquoi cette quête d’invisibilité ou d’anonymat dans ces lieux dissimulés ? Quelle est la signification de ce phénomène urbain ? Un commencement de réponse est à rechercher dans le contexte et les conditions d’émergence des kuzu dans la ville. Kuzu est un terme qui vient de l’argot de Kinshasa qui signifie littéralement « se cacher », « se dissimuler ». Dans le sens où il est employé ici, c’est un substantif signifiant une cachette ou un lieu secret qui désigne une sorte de « chambre de passe » très bon marché et aménagée de la manière la plus sommaire qui soit. Notre objectif dans cette contribution est, d’une part, de décrire ces nouveaux espaces d’anonymat urbain dans leur diversité et, d’autre part, de rendre compte des logiques qui sous-tendent ces nouvelles pratiques sociales de dissimulation, d’invisibilité, permettant aux citadins de se « récréer » sans être identifiés. Nous montrerons que dans l’environnement social très particulier de la société kinoise, la fréquentation du kuzu offre au citadin un espace-temps d’anonymat au sein duquel il rend son comportement invisible à ses proches. Le développement des kuzu à Kinshasa est d’autant plus intéressant à analyser que la culture dominante dans la ville valorise paradoxalement la mise en scène publique de soi et la recherche active et par tous les moyens de la notoriété par l’ostentation individuelle.