Du conflit minier au conflit de milieu, ou le rôle des repaires. Le cas du PERM de Couflens-Salau en Ariège Mots-clés : conflit ; renouveau minier ; milieu ; imaginaire ; repaire Cette communication propose d’envisager les conflits miniers comme des conflits de milieu (Berque, 2016), à partir d’une proposition conceptuelle : les repaires. Elle s’appuie sur la réalisation d’une enquête ethnographique (2017-2021) associée à celle d’un film documentaire (2021-en cours). L’une comme l’autre ont porté sur le virulent conflit associé à la réouverture d’une mine de tungstène, dans un territoire montagnard fortement enclavé : le pays du Couserans en Ariège. Ce projet découle du renouveau minier (Chailleux, Le Berre, Gunzburger, 2021). En 2016 l’Etat français a octroyé à une junior minière le PERM (Permis Exclusif de Recherche Minière) de « Couflens-Salau ». Celui-ci s’étend sur l’intégralité de ladite commune, à l’extrême-sud de la vallée pyrénéenne du haut-Salat, et aux pieds de la crête frontière franco-espagnole. Il a eu pour objectif d’évaluer la quantité restante de tungstène dans l’ancienne mine d’Anglade (1971-1986) et ses alentours. La possible réouverture de la mine a donné lieu à une double lutte habitante. Une association et un collectif se sont formés, respectivement pour et contre le projet minier. Depuis 2021, le PERM est suspendu, du fait d’un enchevêtrement entre mobilisations habitantes et indécisions des administrations centrales. Il est depuis dans l’attente d’une décision du Conseil d’Etat. A ce jour, donc, il ne résulte du PERM qu’un vif conflit, ainsi que la mise en lumière des conséquences de l’ancienne exploitation. Leur relative invisibilité est à l’image de la topographie couserannaise, illisible. Les dix-huit vallées enclavées qui composent le territoire sont délimitées par d’abrupts versants, en outre caractérisées par d’intenses dynamiques de recolonisation forestière liées aux nombreux reculs anthropiques. L’exode rural, la diminution des activités pastorales et la réintroduction de l’ours slovène participent d’un (ré-)ensauvagement (Barraud & al., 2019). Loin d’être anodines, ces transformations paysagères et sociales sont au cœur du conflit minier, nourri des façons divergentes de voir/de faire avec l’espace. Suivant cette piste, j’appréhende ce conflit minier comme un conflit de milieu (Berque, 2016), dont le terrain de bataille est l’imaginaire dans sa dimension spatiale (Debarbieux, 2015) et ses repaires. La lutte relève de la capacité à incarner, pour chaque pan du conflit, ses idées dans des formes matérielles/spatiales (Chivallon, 2008), visibles ou invisibles, passées ou présentes, des paysages aux infrastructures en passant par la « nature ». Je postule que ces formes composent les milieux humains, individuels comme collectifs, en outre modulent le passage de l’expérience intime à l’expérience collective d’un territoire. Je propose de les nommer repaires. Ainsi mon intervention s’attachera à expliciter le conflit minier de Salau à travers le rôle des repaires qui en constituent la pierre angulaire. Elle s’articulera en deux temps. En premier lieu, elle se centrera sur la proposition du concept de repaire, à l’interface entre dimension spatiale de l’imaginaire (Debarbieux, ibid.) et mésologie berquienne (Berque, op.cit). Si la notion de milieu possède un fort intérêt heuristique, Berque ne propose que peu d’outils pour se saisir concrètement de ce qui le compose. Repartant des prises berquiennes, et les enchevêtrant à la proposition de Debarbieux, je propose le concept de repaire. Pour l’ensemble des sens qu’il recouvre historiquement, et pour son étymologie double : repaire/repère. Les repaires, ce sont les éléments du milieu tel qu’ils sont saisis par l’individu, le collectif ou la société qui les pratique et contemple. Ils matérialisent l’habiter dans l’espace et révèlent les relations de pouvoir qui s’y nouent. En second lieu, je montrerai l’intérêt du concept pour expliciter la double lutte autour du PERM. Celle-ci a consisté, pour chaque bord du conflit, à valoriser ses repaires à travers les savoirs géographiques (Collignon, 2003) qui leurs sont associés. A l’échelle de la mine, l’ensemble des éléments de l’ancienne exploitation ont fait l’objet d’une répartition nette entre les « pro » et les « anti »-mines. Jusqu’à la problématique, pourtant commune aux deux camps, des impacts de l’ancienne mine. L’inaction des services de l’Etat, et les incertitudes techniques en découlant, ont transformé les enjeux autour de la dépollution en un terrain de bataille supplémentaire. A l’échelle du territoire, le retour de la mine est plus généralement le théâtre d’une confrontation entre milieu rural prémoderne (Dalla Bernardina, 2011) et milieu néorural (Saumon & Tommasi, 2022). La violence du déchirement parmi les habitant-e-s est à l’image de la perte de repaires vécue par les « pro-mines » et leur monde, face à l’imposition progressive de l’imaginaire néorural du territoire. Bibliographie Barraud, R. & al. (2019). Ensauvagement et ré-ensauvagement de l’Europe : controverse et postures scientifiques, Bulletin de l’association de géographes français, 96(2), 301-318. Berque, A. (2016). Ecoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 448p. Bourdieu, P. (2013). Vous avez dit « populaire » ?, in Badiou A. & al., Qu’est-ce qu’un peuple ?, La Fabrique Ed, 23-52. Chailleux, S., Le Berre, S., Gunzburger, Y. (dir.). (2022). Ressources minérales et transitions. Trajectoires politiques du sous-sol français au 21e siècle, Bruxelles, Peter Lang, coll. EcoPolis, 410p. Chivallon, C. (2008). L’espace, le réel et l’imaginaire. A-t-on encore besoin de la géographie culturelle ?, Annales de géographie, 2-3(660-661), 67-89. Collignon, B. (2005). Que sait-on des savoirs géographiques vernaculaires ?, Bulletin de l’Association des Géographes Français, 82(3), 321-331. Dalla Bernardina, S. (2011). Le retour du prédateur. Mises en scène du sauvage dans la société post-rurale, Presses Universitaires de Rennes, 132p. Debarbieux, B. (2015). L’espace de l’imaginaire. CNRS Editions. Saumon, G., Tommasi, G. (2022). La Néoruralité. Recours à la campagne, Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, Coll. L’Opportune, 63p.