Entre 2019 et 2022, les commissariats à la lutte contre la pauvreté des régions Occitanie et PACA ont financé quatre-vingt-treize (93) actions d’accès aux droits . Leur analyse qualitative permet d’en fournir une typologie affinée, en identifiant les principales caractéristiques tenant aux porteurs de projet, aux publics bénéficiaires ainsi qu’aux modalités d’action et à leurs retombées. Ce travail de recherche vise ainsi à nourrir une réflexion approfondie sur l’accès aux droits dans ces territoires. La typologie des porteurs de projet est assez uniforme. Il s’agit essentiellement de structures associatives, de toutes tailles. Reste que les financements de la Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté ont principalement été obtenus par des associations bénéficiant d’un rayonnement important ou d’un relais informationnel par l'intermédiaire des unions ou fédérations. D’un point de vue géographique, il est possible de noter une répartition variable des acteurs de l’accès aux droits au sein de chaque région. Cependant, les opérateurs les plus éloignés des grandes agglomérations (Marseille et Montpellier) évoquent le sentiment de « ne pas être dans la partie ». Les structures associatives sont pour l’essentiel financées par des fonds publics. Un nombre important d’associations bénéficient des financements liés au dispositif des quartiers prioritaires de la politique de la Ville (QPV), d’agréments (CHRS, IML, ACI, IAE, centre social) ou de labels (France services, PCB). Pour autant, elles partagent une difficulté commune, celle de trouver une source de financement pérenne. Elles ont du mal à avoir une vue d’ensemble de leur mission et sont affectées par les conditionnements imposés par leurs différents financeurs. En ce qui concerne la Stratégie pauvreté, toutes les associations s’accordent à dire qu’un financement pluriannuel est indispensable à la bonne réalisation des projets et à un éventuel essaimage. L’instruction interministérielle relative à la mise en œuvre du Pacte des solidarités fait d’ailleurs le relais de ce besoin et invite les acteurs à imaginer des dispositifs de type « table ronde des financeurs ». L’analyse des actions financées par la marge de manœuvre territoriale permet de mettre en évidence la récurrence des acteurs financés. Les commissariats participent à la création d’un réseau d’acteurs de confiance composés des opérateurs bien identifiés sur les territoires. Lorsque les structures n’identifient pas la personne du commissaire, elles sont en général en lien avec la DREETS ou les DDETS. Malgré l’importance de ce réseau, certains acteurs ne sont pourtant pas connus des services de l’État. Il conviendrait ainsi d’identifier de nouveaux interlocuteurs. D’ailleurs, les retours des acteurs appuient l’idée que la communication sur les appels à projets reste perfectible. Le fait d’appartenir à l’écosystème établi semble revêtir une certaine importance pour les acteurs associatifs. Les porteurs de projet apprécient d’être invités et associés aux réflexions par le commissaire, dans le cadre de réunions de travail ou d’échanges moins formels. Ils évoquent le souhait d’être accompagné de manière plus significative dans le déploiement de leurs projets. Ainsi, les acteurs ressentent parfois le besoin d’un accompagnement et d’échanges plus conséquents qui répondraient à la dynamique de co-construction envisagée par la Stratégie et promise par le Pacte des solidarités. Or, l’absence d’un véritable commissariat avec des personnels dédiés au pilotage et à la mise en œuvre de la Stratégie est une contrainte majeure du dispositif. En ce qui concerne les publics cibles des mesures, l’étude des actions d’accès aux droits témoigne de leur grande diversité. Les personnes bénéficiaires des mesures de la Stratégie pauvreté ne sont pas uniquement des personnes dites précaires. Les actions recensées bénéficient à la population générale. Les personnes bénéficiaires sont donc les personnes qui n’ont pas accès à leurs droits, sans égard à la cause qui est à l’origine de ce non-accès (condition biologique, condition d’âge, condition géographique). Une focale particulière se retrouve sur la grande précarité (personnes à la rue, personnes hébergées, étrangers, femmes victimes de violences, personnes en état de prostitution). Aussi, les actions d’accès aux droits sont marquées par deux courants qui s’entremêlent à certains égards. Elles se soucient à la fois des personnes issues de la grande précarité, mais aussi de tous ceux n’ayant pas accès à leurs droits. Les bénéficiaires des actions d’accès aux droits appartiennent plus ou moins toujours au même cercle, celui des bénéficiaires (anciens ou actuels) de l’action sociale au sens large. Cela s’explique par des raisons géographiques et sociétales. En effet, le maillage associatif est très développé dans les quartiers prioritaires de politique de la Ville et dans les territoires où se concentrent les situations de précarité. De plus, le public précaire est un public « difficile à capter ». Il en résulte que, même lorsque ce public est déjà accompagné, les travailleurs sociaux sont souvent mal identifiés. Les structures doivent refaire le lien, reconstruire le maillage autour de la personne. Cela peut conduire à des doublons, à des reprises de démarches. D’une manière générale, la cohérence globale de l’accompagnement social doit être réinventée pour assurer un parcours sans couture, garantir le maintien des droits et permettre ce dernier kilomètre de l’accès aux droits. L’étude fait apparaître que la population hors radar de l’action sociale est difficile à saisir, car elle reste en marge des actions de la Stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il s’agit en premier lieu d’un problème d’information et de communication. Le renouvellement des méthodes mériterait d’être mieux accompagné, notamment en formant les opérateurs aux dispositifs d’aller-vers et en repérant les bonnes pratiques à essaimer. Les porteurs de projet évoquent une difficulté particulière quant à l’identification et à la captation de nouveaux publics qui semble liée à l’explosion de la demande en matière d’accès aux droits et de l’aide aux démarches en ligne. La question des « maisons France services » est à la marge de cette étude puisque le sujet était d’analyser les projets financés par la marge de manœuvre territoriale. Néanmoins, elle est omniprésente dans l’esprit des porteurs de projets et doit être traitée pour appréhender les mesures d’accès aux droits déployées dans le cadre de la Stratégie. La fermeture des guichets des services publics a conduit à l’augmentation exponentielle des demandes d’accompagnement et des sollicitations de toutes sortes. Les associations sont en première ligne face à l’incompréhension, voire parfois à la colère des administrés. L’absence de prise en compte des besoins du public conduit à un phénomène de non-adhésion. Or, le public reste peu associé dans l’élaboration des pratiques. Des actions ont bien été financées sur le thème de la participation, mais les démarches participatives ne s’intègrent pas encore dans une dynamique de co-construction sur le renouvellement des méthodes. Les données exploitées n’ont pas permis de mesurer précisément l’impact des projets, qu’il s’agisse du recul de la pauvreté ou de l'amélioration concrète de l’accès aux droits. Toutefois, si le faible taux de bilans disponibles pouvait faire craindre à propos de l’engagement des porteurs de projets, il y a lieu de relever que les entretiens ont permis de mettre en évidence un réel engagement et une forte volonté de mettre leurs actions au profit d’un meilleur accès aux droits dans toutes ses dimensions. L’absence de données quantitatives cohérentes est à nuancer et à mettre en perspective avec l’objet de la présente étude. Les actions d’accès aux droits sont particulièrement concernées par la question d’une évaluation plutôt qualitative puisqu’il s’agit de capter ceux qui n’ont pas accès à leurs droits, que ce soit par leur situation d’éloignement géographique ou social. Elles vont par nature toucher peu de bénéficiaires. Pourtant, elles sont susceptibles d’atteindre l’objectif affiché de la politique publique, c’est-à-dire assurer le dernier kilomètre, repérer les publics dits hors radar, qui n’étaient pas connus des institutions. Aussi, la typologie des actions d’accès aux droits implique de mettre l’accent sur l’évaluation qualitative, sans focaliser sur le nombre de bénéficiaires touchés ou le nombre de droits ouverts. Ce constat est d’autant plus vrai que les acteurs ont tendance à surévaluer le nombre de bénéficiaires envisagés par rapport à ceux qui seront réellement touchés par l’action. L’écosystème de l’accès aux droits est constitué par un maillage opérationnel territorialisé. En pratique, sur un même territoire, les acteurs de l’accès aux droits ont une connaissance fine des différentes structures du secteur. Mais les liens restent très dépendants des relations interpersonnelles. Les gouvernances collaborent encore peu ensemble. Cependant, un grand nombre d’associations initient des mises en réseau . La dynamique post-covid semble favorable au dialogue et propice à un renouveau des modalités d’échanges pour faire émerger des projets collaboratifs. Les associations de l’accès aux droits financées par la marge de manœuvre territoriale sont dans l’ensemble satisfaites de leurs liens avec les institutionnels chargés de la Stratégie pauvreté. Il n’en demeure pas moins que des besoins de coordination sur certains sujets sont prégnants, notamment sur la question des « maisons France services ». La complémentarité des dispositifs et l’orientation des publics sont largement perfectibles. Les acteurs interrogés ont fait part d’un climat de tension avec le public. Les associations de l’accompagnement dans l’accès aux droits sont au premier plan. À partir de l’analyse des actions portées en région Occitanie et PACA, l’accès aux droits peut être défini comme l’accompagnement d’un individu, par la prise en compte de l’ensemble de ses besoins qu’ils soient ou non conscients, visant à garantir l’accès à ses droits fondamentaux en priorité, mais aussi à ses droits en général. Cet accompagnement peut notamment prendre la forme de l’assistance dans la mise en œuvre des droits et la réalisation de ses démarches. De manière plus ciblée, les acteurs des deux régions ont financé des mesures liées à l’accompagnement dans l’accès aux droits sociaux et aux démarches administratives, des mesures permettant l’aide et le soutien aux plus démunis, des mesures destinées à lutter contre la fracture numérique, ainsi que des mesures liées à la volonté de faire coopérer les acteurs pour gagner en effectivité dans la lutte contre la précarité. Les catégorisations retenues par les commissariats dans le cadre de l’inventaire des actions financées en région sont susceptibles d’être améliorées. La catégorie reste très hétérogène, tant au niveau des deux régions, qu’au sein de chaque région. Cela permet de saisir à quel point la notion ne fait pas l’objet d’un consensus. Elle se définit tantôt par ses leviers, tantôt par ses publics. Une proposition de rationalisation a été envisagée à la lumière du Pacte des solidarités. Si le champ d’application de l’accès aux droits est susceptible d’être précisé, la notion d’innovation mérite également d’être éclairée dans la perspective du Pacte des solidarités. Il faudrait y voir une incitation au renouvellement des méthodes plus qu’un véritable critère de sélection. En effet, l’analyse des projets sélectionnés montre qu’une initiative inspirante peut être définie par une méthodologie de déploiement fondée sur des leviers renouvelés (aller-vers, coopération entre les acteurs, formation des professionnels et participation du public) ou sur une thématique qui occupe l’espace public. Cette notion reste limitante lorsqu’elle n’est pas présentée de manière pédagogique en ce qu’elle conduit à financer les acteurs aguerris aux appels à projets, qui maîtrisent les éléments de langage et le processus de montage de projet. Sous cette réserve, une analyse sélective – et non exhaustive – d’actions inspirantes, au sens précédemment développé, a été opérée. D’un point de vue général, il semble indispensable de valoriser les mesures supra-associatives à vocation de coopération pour renforcer le maillage territorial et la bonne diffusion de l’offre d’accès aux droits en région. Cependant, ces projets doivent être accompagnés et appuyés afin de garantir le dialogue entre les gouvernances. Par ailleurs, l’absence de cadre spécifique de financement ne favorise pas l’émergence et le déploiement de ce type de projet collaboratif. D’un point de vue plus spécifique, les entretiens menés au cours de cette étude permettent de dire qu’il existe des initiatives innovantes et inspirantes, au-delà des projets sur lesquels portait le cadre de recherche. Les associations n’ont pas toujours conscience de leurs ressources ou du caractère inspirant de leurs actions. Aussi, une communication nourrie sur les objectifs du Pacte et sur les mesures à prioriser permettrait de faire émerger des projets déjà réfléchis, déjà expérimentés. Ces projets seraient plus structurés et leur pérennité plus évidente à assurer. Il est essentiel de communiquer efficacement sur les objectifs à réaliser. Il semble pertinent d’impulser des groupes de travail destinés à co-construire les projets répondants aux attendus du Pacte. Et dans cette perspective, il conviendra d’élargir le cercle des acteurs de la Stratégie.