Depuis les travaux pionniers de Jacob Buckhardt 1 et de son disciple Heinrich Wölfflin 2 , la Renaissance a été conçue comme une représentation entière du monde qui impliquait un renouvellement profond des savoirs et pratiques. La Civilisation de la Renaissance en Italie prétendait ainsi embrasser une grande variété de champs comme si ce vaste mouvement protéiforme et divers avait développé la même quête obstinée d'un savoir complet que celle qu'avaient poursuivie les esprits les plus brillants de l'Antiquité gréco-romaine. Il est à cet égard significatif que Burckhardt ait consacré des chapitres aussi bien à l'histoire des mentalités qu'à l'organisation de la Polis, à la réappropriation des savoirs antiques qu'aux formes esthétiques, à la production littéraire qu'aux fruits de la science 3 . Il est indéniable qu'à partir de la seconde moitié du XV e siècle les créations artistiques ont connu un bouleversement sans précédent de leurs pratiques tant la conception du monde et les instruments qui permettaient de l'atteindre ont subi une phase de rénovation inédite ; la figure la plus emblématique de cette révolution scientifique demeure sans nul doute Léonard de Vinci qui fit preuve, tout au long de sa vie, d'une curiosité insatiable envers les différents pans de l'expérience et formes de création 4 . Cette considération de l'histoire tout à fait séduisante, et portée, de manière plus vaste, par une forme de lecture idéaliste de la succession des civilisations d'ailleurs combattue par Friedrich Nietzsche, a irrigué les travaux de quelques-uns des plus grands historiens de l'art du XX e siècle comme Erwin Panofsky 5 ainsi que de philosophes comme Ernst Cassirer 6 .

Sans qu'il nous appartienne ici d'entrer dans ce débat complexe sur le phénomène d'essentialisation de l'idée de Renaissance -avec tous ses défauts afférents comme l'introduction d'une césure trop nette avec le Moyen âge, une hiérarchisation des époques et civilisations, un européocentrisme discutable et une ignorance des cultures arabe et juive médiévales sans parler d'une lecture rétrospective et téléologique de l'histoire dénoncée à juste titre par Georges Didi-Huberman dans le domaine de l'histoire de l'art 7 -, nous ne pouvons que reconnaître le caractère démesuré de cet esprit renaissant : il tend à façonner des objets tout en les nommant et trouve une série de résonnances singulières dans les lettres européennes dès le début du XVI e siècle sans pour autant conférer à l'idée de Renaissance un caractère intangible et mythifié qui se trouverait exprimée dans la célèbre lettre de Gargantua à son fils Pantagruel 8 : « Avalisée par Sainte-Beuve et la critique romantique, puis canonisée par Jacob Burckhardt et la critique universitaire bourgeoise et anticléricale de la fin du XIX e siècle, elle figure désormais au panthéon de nos clichés et de nos