L’existence même d’une Préhistoire égyptienne fit l’objet d’âpres débats dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle. La discussion s’est tout particulièrement focalisée sur la manière d’appréhender des silex taillés trouvés en Égypte : étaient-ils la preuve d’un « âge de pierre » égyptien ? Deux figures majeures de l’égyptologie française réagirent notamment à cette question : François Chabas (1817-1882) et Auguste Mariette (1821-1881), chacun avec une approche qui lui était propre. Chabas, figure éminente de la philologie égyptienne de sa génération, s’intéressait aussi à l’archéologie régionale de sa Bourgogne d’adoption, où il fréquentait les cercles savants férus de recherches sur les temps préhistoriques ; Mariette, directeur du service de conservation des antiquités de l’Égypte, était pour sa part un homme de terrain, familier des sites égyptiens et introduit dans les milieux académiques parisiens. Tous deux intervinrent dans la discussion par leurs prises de positions publiques et diverses communications privées, pour certaines publiées et pour d’autres conservées en archives. Au-delà du rôle de ce débat dans la construction progressive d’une archéologie de l’Égypte préhistorique et de sa méthode, les réflexions qu’il a suscitées ne sont pas sans intérêt. Nous nous proposons de revenir sur cette controverse en prêtant une attention particulière à la manière dont les vestiges matériels ont été analysés et débattus afin d’aboutir à un discours historique. Cette étude de cas permet de mettre en évidence l’arsenal des moyens déployés pour atteindre une démonstration solide ou démontrer la fragilité de certains raisonnements, face à des objets difficiles à dater et sans contexte pleinement exploitable. Les interventions de nos deux égyptologues permettent aussi de se pencher sur les modalités de contradiction et de démonstration qu’ils ont choisies dans ce débat savant. Outre une analyse aussi rationnelle que possible, ils s’escrimèrent à mobilier l’étude macroscopique, la collecte d’autres spécimens à des fins de comparaison, le recours à des sources historiques, … jusqu’à envisager même la réalisation d’une vitrine de musée comme argument à présenter au public dans ce débat ; ces tactiques sont autant d’outils encore présents et parfois incontournables dans nos disciplines.