Si, à titre d'hypothèse, on accepte de séparer les « droits de la nature » du « personnalisme », pour les étudier pour « eux-mêmes », on observe qu'ils sont totalement imprégnés de « communalité ». Au point où : 1) quand il y a création d'une personnalité juridique à partir d'une entité naturelle, celle-ci repose sur la présence d'un commun environnemental ; 2) quand ils traduisent un « droit subjectif » (différent des droits de l'Homme), d'un côté, c'est la valeur commune de préservation de la viabilité du vivant qui est protégée, de l'autre, c'est l'action donnée à tout membre de la communauté des hommes chargée de la défendre ; 3) enfin, quand un commun « sujet de droit » est ainsi reconnu sans être une personne dans une entité vivante, il demeure soumis au régime juridique de la propriété, pouvant entraîner une distinction majeure entre les classifications de biens : ceux qui porteraient des droits, que seraient les « biens environnementaux-naturels » et les « biens communs environnementaux-naturels » et les autres… p. 364  Les communs, face cachée des droits de la nature ? Et si les différents types de communs récemment découverts dans les multiples formes de gouvernances protectionnistes des écosystèmes-terre ouvraient de nouvelles perspectives au service de la reconnaissance des droits de la nature ? Aujourd'hui encore, quand les communs apparaissent sous une forme ou une autre dans les discours savants portant sur les droits de la nature, c'est souvent de façon incidente, rarement principale. Malgré une certaine contiguïté entre les deux courants, il n'existe pas, à notre connaissance, d'étude monographique, révélant l'importance constitutive des communs dans l'émergence des droits de la nature 1 . Pourtant, un examen approfondi des formes de « communalités » 2 présentes dans les agencements juridiques des droits du vivant pourrait s'avérer riche d'enseignements dans la perspective de poser les premiers jalons d'une théorie civiliste des droits de la nature.

Deux mouvements parallèles. L'approche de ces formes de communalités commence par une chronique conduite dans deux directions : l'une située à la lisière de l'économie et du politique questionnant le renouveau des communs, l'autre interrogeant les possibilités d'extension des droits subjectifs vers la nature.

Naissances respectives. L'hypothèse des droits de la nature et celle du renouveau des communs naissent dans la même contrée californienne. C'est dans les travaux d'Elinor Ostrom que le mouvement et l'engouement contemporain autour des communs (commons) prend sa source. Après avoir rédigé sa thèse à l'Université d'État de Californie (USCLA) sur les modes de gestion des bassins d'eau souterraines en 1965 3 , E. Ostrom poursuit sa carrière à Bloomington dans l'Indiana d'où elle dirigera ses recherches. Ses travaux 4 sur les modes de gestions collectives des ressources naturelles (pêcheries, pâturages, forêts et systèmes d'irrigation) tendent à démontrer qu'il est possible de confier la gestion durable des ressources à une ou plusieurs communautés dans une perspective de justice distributive 5 .

À peu près au même moment, les droits de la nature font leur apparition dans l'esprit de Christopher Stone, alors professeur de droit à l'université de Californie du Sud (USC). Au terme d'une procédure portée devant la Cour du 9 ème district de San Francisco, et avant que la Cour suprême des États-Unis ne rendre une décision définitive, Stone rédige un article dans lequel il défend l'hypothèse de reconnaître des « droits aux arbres » 6 en leur octroyant un « intérêt à agir » 7 en justice.

Reconnaissances respectives. C'est sur le même continent, plus au sud cette fois, que l'épicentre du mouvement des droits de la nature va se constituer quelques années plus tard. Dans son préambule, la nouvelle Constitution équatorienne adoptée en 2008 commence par célébrer l'existence d'un rapport ancestral des peuples andins à la Nature (ou Pacha Mama) 8 , avant de déclarer que « la nature est sujet de droit » 9 . Cette référence inédite à la terre dans une Constitution inspire la Bolivie voisine qui rédige en 2010 une Déclaration des droits de la Terre-Mère 10 . Pendant ce temps, les communs s'installent en Europe. En 2009, l'Académie des Sciences royales de Stockholm récompense E. Ostrom qui devient la première femme récipiendaire du Nobel d'économie. À Bruxelles, certains universitaires perçoivent la puissance de la notion et n'hésitent pas à parler de « l'insolente vitalité » 11 du phénomène des communs.

L'année 2017 s'annonce riche en rubriques respectives à propos des droits d'un côté, et des communs de l'autre. Trois cours d'eau vont alors venir charrier la question des droits des 3