Cet article met en perspective les nouvelles formes de communication politique à caractère narratif (worldbuilding) avec celles qui ont caractérisé les premiers usages instrumentaux des récits à des fins de gestion et de contrôle (storytelling). Par-delà les différences qui les séparent, ces dispositifs de manipulation narrative reposent sur un préalable commun : l’infantilisation de l’horizon d’attente de la société vis-à-vis de l’histoire racontée. Tant le worldbuilding que le storytelling réactivent en effet chez les récepteurs d’un récit des réflexes de lecture qui conviennent davantage à l’enfance qu’à l’âge adulte. En impactant négativement les performances cognitives de la société, ces stratégies de manipulation narrative préparent l’humanité à accepter comme un destin inéluctable l’avènement de l’intelligence artificielle. L’extension du domaine de la manipulation narrative est le corollaire des engagements que l’Occident a pris à l’égard du progrès technologique depuis le jour où, sous l’égide du néolibéralisme, l’économie est devenue le point d’origine et le point de fuite de tout ordre politique légitime.