Vor der Zunahme der Zeichen (Face à la multiplication des signes) de l’écrivain allemand Senthuran Varatharajah présente un échange épistolaire d’un genre tout à fait singulier. Une semaine durant, deux anciens réfugiés en Allemagne – l’une venue du Kosovo, l’autre du Sri Lanka comme l’auteur lui-même – s’envoient via Facebook des messages d’une profondeur philosophique et d’une poésie peu accoutumées sur ce genre de réseaux sociaux. Si pour ces deux épistoliers contemporains le temps est une source de réflexion – notamment dans leur conception d’une langue précaire motivée par leur expérience de la fuite et de la perte, d’une langue éphémère vouée à la disparition –, il se trouve que, dans sa structure-même, le roman cherche à repenser le temps. De fait, les messages sont certes toujours datés de manière extrêmement précise (à la minute près), mais tout laisse entendre qu’il reste extérieur au temps de l’échange, n’ayant que peu d’effet sur lui. Ce qui importe, c’est le temps épistolaire, celui que réinventent pour eux les deux interlocuteurs dans et hors du temps. Car les messages échangés ne sont qu’en de rares occasions conçus comme des questions-réponses, les épistoliers virtuels prenant le temps et le soin de mûrir chaque réponse, laissant surgir entre-temps de nouvelles questions qui engendreront plus tard ou non de nouvelles réflexions, entrecroisant ainsi habilement les expériences et les pensées. Ce roman empreint de philosophie doit beaucoup à la pensée de Martin Heidegger, et tout indique que la notion de Zeitlichkeit (temporalité), en tant que « souci du temps en tant que tel », qu’il développe notamment dans Sein und Zeit, est mise en pratique à différents niveaux dans cet échange virtuel. C’est ce que nous nous proposons d’analyser.