Alors que les déplacements pour achats sont devenus le troisième motif de déplacement des ménages selon l’Enquête Mobilités des Personnes (2019), les ménages achètent de plus en plus en ligne. Ainsi, en 2021, 76% de la population âgée de 12 ans et plus ont acheté en ligne (Hoibian et al., 2021). Ces deux résultats mis en parallèle tendent à étayer l’hypothèse de substitution telle que formulée par Mokhtarian (2004) ou Cullinane (2009), selon laquelle acheter en lien conduirait à réduire les déplacements des ménages et serait une pratique « écologiquement vertueuse » (Stinson et al., 2019 ; Wygonik & Goodchild, 2018), spécialement depuis le Covid qui constitue une bifurcation majeure dans la diffusion de cette pratique. L’hypothèse de substitution repose sur le fait que les ménages délégueraient l’acheminement de leurs approvisionnements en ligne à des services logistiques plus efficaces et moins polluants (Van Loon et al., 2015). Or, si les achats se concrétisent de plus en plus ailleurs qu’en magasin, l’ensemble des déplacements liés aux achats en ligne n’est pas nécessairement et intégralement délégué à des opérateurs logistiques. La récupération d’un bien peut rester à la charge des consommateurs eux-mêmes, en partie (dans le cas d’une livraison en point relais ou consigne) ou totalement (quand les achats sont retirés en magasin ou dans un drive). Les ménages ont la possibilité de se déplacer en amont ou en aval de l’achat lui-même, pour voir ou essayer le produit, pour le retourner en cas de défaut ou de réparation, etc. De fait, l’achat en ligne est en mesure de générer de multiples déplacements difficiles à identifier dans des enquêtes déplacements classiques et qui s’inscrivent dans toute la complexité des pratiques ordinaires de déplacements des ménages. L’objectif de notre présentation est de saisir comment les ménages mettent en récit leurs achats en ligne pour analyser la diversité des pratiques de mobilité qui l’accompagnent et plus spécifiquement dans quelles mesures l’achat en ligne est vu comme une bifurcation ou un tournant écologique dans leurs modes de vie et dans leurs pratiques de mobilités. Quels sont les différentes mobilités ou logistiques ordinaires mises en place par les ménages autour de leurs achats en ligne ? Comment ses mobilités sont-elles justifiées par les ménages ? Est-ce que les représentations de l’impact écologique de ces déplacements (ceux des ménages et ceux des opérateurs) participent à expliquer les pratiques du e-commerce ? Il s’agira plus spécifiquement de comprendre quelle importance prend aujourd’hui la justification écologique dans leurs récits. Pour ce faire, nous chercherons à considérer plusieurs éléments psychologiques et sociologiques en lien avec cette pratique, comme les significations accordées au e-commerce, pour saisir si l’achat en ligne est à même de modifier durablement les manières de se déplacer des ménages. Méthodologie A travers une enquête qualitative par entretiens semi-directifs menée en 2022 auprès de 50 ménages français, nous avons cherché à analyser en détails la complexité et la diversité des déplacements liés aux pratiques d’achats en ligne des particuliers. Cette enquête permet de rendre compte de la logistique de ces déplacements et de leurs constructions selon des facteurs sociaux et environnementaux. Plus spécifiquement, notre communication explicitera comment les ménages mettent en récit leurs pratiques d’achat en ligne et les mobilités qui leur sont associées. Nous montrerons notamment que ces derniers mobilisent différents registres normatifs de justification dans le recours à ce canal d’achat et dans leurs choix logistiques de déplacements selon leurs caractéristiques sociodémographiques (ancrage dans un territoire plus ou moins dense, âge, profession, genre, etc.). Ces différents registres permettent d’interroger la construction sociale d’une écologisation dans les pratiques de mobilité liées au e-commerce. Nous verrons ainsi que la forme des mobilités d’achat en ligne sont directement dépendantes des caractéristiques socio-spatiales des personnes et de leurs représentations normatives du e-commerce. Nouveauté, originalité La numérisation de la vie quotidienne en général et plus spécifiquement des pratiques d’achat constitue un tournant pour l’analyse des mobilités. Au-delà des déplacements en eux-mêmes (se rendre dans un magasin par exemple), cette activité mobilise de plus en plus des technologies qui portent en germe des possibilités d’accéder différemment à des biens, des services, des aménités, etc. Cependant, il est encore difficile de mesurer avec précision l’ampleur et la direction des changements provoqués par la numérisation de la mobilité quotidienne. Elle est néanmoins l’objet de nombreux espoirs ou promesses de la part des pouvoirs publics pour rendre les pratiques de déplacements plus durables (Pochet, 2017). L’originalité de cette étude est d’aborder les déterminants sociaux (socialisations et identités), environnementaux (ancrages et contextes) et cognitifs (représentations et normes) qui participent à comprendre les différentes formes de mobilités mises en place face à la numérisation des achats. Cette première étape de compréhension permettra par la suite d’ouvrir une réflexion plus concrète sur la durabilité des mobilités du e-commerce du point de vue des ménages.