Coupables d’être nés, les populations dites tsiganes (regroupés sous l’appellation de Zigeuner) ont connu le même sort que les Juifs sous le Troisième Reich : persécutées par des lois racistes, assignées à résidence dans des espaces marginalisés, stérilisées de force, déportées et assassinées dans un complexe concentrationnaire dédié, celles et ceux momentanément épargnés sont soumis au travail forcé et à des pseudo-expériences médicales. Bien qu’on estime qu’au moins un quart de la population tsigane européenne ait été exterminé, au sortir de la guerre aucun gouvernement et aucune institution ne reconnaît ce qu’on nommera par la suite le Porajmos ou Samaduripen. La stigmatisation et l’antitsiganisme se poursuivent et les survivants, adultes comme enfants, se taisent, tant par expérience du rejet que par respect d’une tradition du silence. Leurs témoignages, écrits ou dessinés, sont rarement portés à l’attention du grand public et ne connaissent qu’une reconnaissance tardive dans le champ de la recherche. De ce fait, la littérature concentrationnaire ne compte aucun rescapé.e tsigane parmi ses auteurs consacrés ; peu de textes les mentionnent, les rétrospectives muséales leur rendant hommage sont rares. Parmi les quelques 40 000 œuvres d’art concentrationnaire clandestin qui nous sont parvenues, la figure du tsigane et tout particulièrement de l’enfant tsigane est quasiment absente, à l’exception notable des « portraits de jeunes gitans » réalisés par l’artiste communiste Boris Taslitzky au camp de Buchenwald. La seule retranscription picturale connue de l’expérience génocidaire tsigane est ainsi celle de l’artiste rom et autrichienne Ceija Stojka (1933-2013), déportée avec sa famille dans les camps d’Auschwitz, Ravensbrück et Bergen-Belsen. La particularité de l’œuvre de Ceija Stojka, qui compte un millier de productions diverses (dessins, toiles, cartons ...), réside en ce que le geste autodidacte de l’adulte rescapée retranscrit la perception de l’enfant déportée. Il s’agira dans cette communication d’interroger dans un premier temps l’absence et la difficulté de représentation de l’enfant tsigane déporté, pour ensuite s’intéresser à la démarche testimoniale hautement transgressive de Ceija Stojka.