Dans les recherches sur la socialisation familiale, rares sont les travaux qui s’intéressent aux relations fraternelles, malgré leur rôle important dans le développement social. La qualité des relations fraternelles (Chamrad et al., 1995; David et al., 2009; Grenier, 1985; Lapidot-Berman & Oshrat, 2009; Tuttle & Cornell, 1993) ou leur tonalité affective (Ballering & Koch, 1984; Pfouts, 1980) ont été appréhendées auprès d’enfants et d’adolescents HPI mais aucune étude sur cette problématique n’a été conduite en France ou n’a considéré le vécu des enfants uniques. Dans une approche exploratoire, développementale et qualitative, nous étudions les « expériences fraternelles » (Almodovar, 1981, 1998) tout en tenant compte du « faire fratrie » (Vinay & Jayle, 2011), chez des adolescents HPI ayant une fratrie ou enfants uniques. Quelles sont leurs perceptions des expériences fraternelles réelles ou imaginaires ? Quels sont les effets perçus du HPI sur ces expériences ? Nous avons réalisé des entretiens semi-directifs auprès de 32 adolescents HPI, 12 filles et 20 garçons âgés de 9 à 15 ans (M = 12,25 ; ET = 1,41), dont cinq sont enfants uniques. Le HPI a été attesté par un compte-rendu de bilan psychologique. Selon les critères en vigueur dans le champ de l’analyse qualitative (Garric & Capdevielle-Mougnibas, 2009), une analyse de contenu thématique (NVivo, QSR International, 2020) suivie d’une analyse lexicométrique (IRaMuTeQ, Ratinaud, 2014) ont été réalisées. Les résultats montrent que les relations fraternelles sont perçues comme satisfaisantes bien qu’ambivalentes (caractérisées par de la chaleur et de l’opposition). Elles sont idéalisées par les enfants uniques et dépendantes de la place dans la fratrie (notamment du rang de naissance). Le rôle perçu des germains renvoie à l’aide, au soutien et au partage ; chez les enfants uniques, le partage permettrait de dépasser un sentiment de solitude. L’analyse lexicométrique permet de dégager cinq profils de discours centrés sur la comparaison (entre l’adolescent et les germains ou entre les relations fraternelles entretenues avec chaque germain), sur la caractérisation de relations chaleureuses (basées sur les alliances ou sur l’entraide et l’intimité) ou ambivalentes. Le genre de l’adolescent et la composition de la fratrie (taille, genre, rang de naissance, présence d’autres germains HPI) sont les variables illustratives les plus significatives. Alors que la présence d’autres membres HPI dans la fratrie caractérise le discours des adolescents, une majorité déclare que le HPI n’aurait pas d’incidences sur leurs relations fraternelles. Cette recherche souligne l’hétérogénéité des perceptions des expériences fraternelles et l’importance de considérer toutes les dimensions ces expériences, en tenant compte de la composition de la fratrie. Au-delà de l’intérêt de la triangulation méthodologique, une triangulation des sources (Denzin, 1978), confrontant les points de vue des adolescents HPI à celui de leurs parents, pourrait être proposée.