Wuhan, mégalopole tentaculaire dont le nom est désormais connu dans le monde entier, est devenue l’une des villes les plus dynamiques de Chine en moins de 20 ans (JLL, 2015). Bien que son développement se soit réalisé de manière accélérée et quelque peu anarchique, elle a aujourd’hui comblé son retard sur les villes littorales de premier rang du pays (André, 2020). Considérée par le pouvoir central comme un pôle de rééquilibrage et un relais des politiques étatiques dans le corridor du Yangtsé (Sanjuan, 2012), Wuhan s’est vu attribuer le statut de « ville centrale de rang national1 » ainsi qu’un rôle important dans le plan Made in China 2025, ce qui l’a aidée à être cœur du processus de mondialisation dont profitent activement ses 11 millions d’habitants. En effet, avec des revenus disponibles qui ont triplé entre 2008 et 2019, un temps libre devenu conséquent suite à une succession de lois encadrant les congés payés et le développement d’un aéroport desservant des dizaines de destinations du globe, une part de plus en plus importante de la population s’envole à la découverte du monde extérieur. Wuhan est ainsi devenue un foyer émetteur majeur du tourisme international. Cette communication propose donc de partir à la compréhension des flux touristiques provenant de ce territoire en perpétuelle mutation et encore méconnu, qui alimente les flux touristiques d’un pays reconnu comme le premier marché du tourisme international depuis 20132. C’est à travers une méthodologie immersive3, m’ayant plongé au sein du marché opaque des voyagistes Wuhanais pendant plusieurs années (Dejean, 2021), que je vous propose d’analyser les mécanismes ayant cours en amont de ces millions de déplacements touristiques. En examinant l’activité des enseignes locales étatiques comme HOT (Hubei Overseas Tourism group -湖北省海外旅游集团有限公司) et privées comme CSITC (China Southern International Travel Service - 中南国旅游行社) ainsi que celle des nouveaux géants 2.0 comme Tuniu (途牛) ou Ctrip (携程), nous verrons que le système touristique chinois est le théâtre d’un jeu se déroulant entre les touristes, qui présentent des attentes de plus en plus fortes en termes d’autonomie dans leurs voyages, et l’Etat-parti, qui souhaite garder un certain contrôle sur ces flux internationaux à des fins diplomatiques. Les voyagistes se trouvent au cœur de cet équilibre. Dématérialisation, restructuration, segmentation, digitalisation mais aussi, résilience à la crise inédite que le secteur a connu suite à la pandémie : ils doivent s’adapter pour répondre aux nouvelles attentes de leurs clients et s’assurer une place sur le marché tout en respectant la législation restrictive encadrant leurs activités ainsi que les ajustements politiques fréquents du pays. Lorsqu’est montrée la difficulté des entreprises touristiques occidentales à s’adapter à un nouvel environnement hyperconcurrentiel qui s’est rapidement transformé (Clergeau et al, 2014), comment doivent faire les voyagistes chinois qui en plus se heurtent aux contraintes imposées par un État-Parti visant à un contrôle strict du secteur ? L’étude de ces phénomènes locaux permettront une approche du développement futur de ce tourisme international chinois, dont l’importance ne fera que croître, et illustrera à l’échelle du pays les dilemmes auxquels fait aujourd’hui face la Chine contemporaine.