En quoi les aller et retours de la vie de l’écrivain, militant et survivant Jorge Semprún ont-ils formé chez lui une conscience européenne ? Dans l'introduction à l'ouvrage Exercices de survie, Régis Debray décrit l'auteur dans les termes suivants : « Notre homme-frontière polyglotte, hispano- germano-français, est, lui, un feuilleté d'Europe, un concentré de ses plus hauts lignages. » Le parcours de Jorge Semprún tend en effet à se confondre avec l'histoire européenne du XXe siècle. Ainsi, Régis Debray affirme que l'auteur « privatise l'Histoire tout en historisant sa vie ». De fait, Jorge Semprún est un individu qui a expérimenté dans sa chair la douleur des guerres nationales, civiles et idéologiques, mais c'est également au sein du pire – l'exil, le camp – qu'il a rencontré une fraternité au-delà des frontières. Sa vaste culture est un soutien de poids lors de ses incarcérations traumatiques (la villa du Docteur Haas, Compiègne, Buchenwald) ; elle souligne également l'existence d'un corpus de références européennes propres à être utilisées dans toutes les situations, même les plus dramatiques. Ainsi, la culture et surtout le travail permanent de l'esprit, au plus fort de l'univers concentrationnaire, ont permis de mettre en échec le système de destruction nazi. Pour autant, l'héritage culturel de l'humanisme et des Lumières et les notions de progrès et de modernité ne cessent d'être mis à mal par l'existence de la réalité concentrationnaire. Toutefois, ce constat ne s'établit qu'à travers un long processus de silence, d'écriture retrouvée et de remémoration incessante. Malgré tout, les multiples références essaimées dans l'œuvre semprunienne suggèrent la persistance d'un dialogue entre les cultures. Ainsi, il apparaît que chez Semprún, la culture et en particulier la littérature interrogent bien au-delà du seul aspect historique de construction d’une communauté transnationale démocratique. En effet, elles permettent d’aborder en profondeur la notion de conscience européenne.