Au printemps 1851, Juliette Drouet fait « des rêves affreux » : elle voit « un grand omnibus tout en flammes qui cour[t] au grand galop. Les chevaux [ont] pris le mors aux dents ». La fin de l’année donnera malheureusement corps à ses cauchemars. Comme bien d’autres en France, elle pressent le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte et organise la fuite de Victor Hugo dont la tête est mise à prix. Elle prépare son départ et lui obtient le passeport qui lui permet, le 11 décembre 1851, de franchir sans regret la frontière belge. Les premières minutes de l’exil du grand homme qu’elle rejoint, également surveillée et recherchée, le 14 au matin avec la malle remplie de manuscrits, au milieu de centaines d’autres fugitifs arrivés par les itinéraires les plus variés, marquent pour Juliette Drouet l’entrée dans une nouvelle vie. Elle ignore encore que commencent, pour lui comme pour elle qui ne le quittera guère, dix-huit longues années d’expatriation : de Bruxelles début 1852, à Jersey quelques mois après, puis à Guernesey fin octobre 1855 où ils demeureront – malgré l’amnistie du 18 août 1859 que Hugo refuse – jusqu’en 1870, date de la réinstallation en France, que suivront bien d’autres départs et retours en terres d’exils. Durant tout ce temps, l’épistolière consigne scrupuleusement dans ses milliers de lettres adressées à l’amant ses états d’âme, ses habitudes, les détails anodins du quotidien ou les grands événements importants étroitement liés à la vie de Victor Hugo qu’elle partage. Les « retours » d’exils de Juliette Drouet, dans les deux acceptions du terme – le déplacement physique et le compte rendu d’expérience autour de la terre d’accueil et la terre quittée –, présentent donc un intérêt historique et théorique indubitable.