L’association du verbal et du visuel dans le discours écrit est un enjeu encore sous-étudié par la linguistique, comme le remarquent Osterroth (2018) et Klinkenberg (2020). Le langage, écrit comme oral, implique pourtant toujours par essence plusieurs modes de communication (LeVine et Scollon, 2004), c’est là un des postulats centraux de l’analyse multimodale du discours (MDA, Multimodal Discourse Analysis). Dans cette perspective, le verbal, c’est-à-dire la langue, qui est l’objet traditionnel de la linguistique, n’est qu’une modalité du discours parmi d’autres, utilisée en combinaison avec d’autres modalités, comme le résument bien Bezemer et Jewitt (2018) : les modalités du discours n’opèrent pas séparément les unes des autres mais bien ensemble, à l’exemple de l’image et du texte (au sens étroit de de suite de signes linguistiques qui forme un écrit). Il est d’autant plus important pour la linguistique de se saisir de cet enjeu car l’association entre les ressources verbales et visuelles est désormais fondamentale dans les pratiques langagières contemporaines. C’est le constat que font Kress et Van Leeuwen dans la préface de la 3ème édition de Reading Images : The Grammar of Visual Design (2020), qui décrit le mouvement progressif, depuis les années 90, du discours vers le visuel là où le mode verbal était auparavant utilisé. Ce mouvement, qui est d’ordre sociétal, n’est, pour eux, pas lié uniquement au développement de ce qu’on appelle les nouvelles technologies, particulièrement les nouvelles technologies de communication, mais ces dernières en sont indéniablement un catalyseur massif. Elles en sont également le témoin privilégié, à l’instar du discours numérique écrit, qui reçoit une attention croissante de la part des chercheurs en sciences du langage depuis la fin du siècle dernier (voir les travaux de Herring 1996, Anis 1999, Marcoccia 2000, Baron 2000, Panckhurst 2006, Crystal 2006, Yus 2011, Paveau 2017). Si le discours numérique écrit était à l’origine exclusivement verbal, et donc dépourvu des ressources dites paralinguistiques disponibles dans l’interaction en face à face (ex : les gestes, les expressions faciales, ou encore l’intonation), il s’est enrichi progressivement de nombreuses ressources visuelles (émoticons, émojis, GIFs, vidéos, autocollants, images statiques de toutes sortes) capables de remplir toutes sortes de fonctions socio-pragmatiques complexes (Herring, 2013). Si bien que l’intégration de l’image au discours verbal écrit est désormais une des composantes saillantes du discours numérique, particulièrement dans l’interaction entre usagers.