Bernard-Marie Koltès l'a répété, sa pièce Roberto Zucco est un hommage au meurtrier Succo: "Le point de départ, c'est l'histoire de Roberto Succo", affirmait-il, ajoutant "Et c'était là le but de ma nouvelle pièce: faire que, pendant quelques mois, la photo et le nom de cet homme figurent sur de grandes affiches. C'est ma raison d'être, ma raison d'écrire." A priori, aucune référence à Shakespeare, ni Hamlet. Et pourtant, Roberto Zucco est en grande partie une réécriture de Hamlet, et comme Hamlet, une réflexion sur la nature spectrale du théâtre, tout autant qu'une vanité, une méditation sur la vie comme apparition/disparition. Du premier tableau, réécriture pas à pas de la scène d'ouverture de Hamlet, au motif central de la prison, de la méditation sur l'hallucination collective qu'est le théâtre au momento mori, du meurtre de l'espion Polonius à celui de l'Inspecteur, des rapports d'Hamlet et Gertrude à Zucco enlaçant sa mère gémissante, d'Ophélie à la gamine, les effets de réécriture se multiplient. Et lorsque Zucco monologue, la cabine téléphonique dont le téléphone ne marche pas est l'équivalent moderne du crâne d'Hamlet, l'allocutaire muet, représentant sur scène du public à qui le monologue est adressé. Zucco est fils d'Hamlet, mais un fils qui aurait tué son père et se serait effacé d'effacer les traces du crime. Or Succo lui-même, le véritable meurtrier, citait Hamlet dans un enregistrement dont Koltès a reproduit des bribes dans sa pièce, tout en supprimant soigneusement la référence à Shakespeare. L'effacement du texte source Hamlet est manifestement volontaire, de la part d'un auteur qui avait pourtant écrit une adaptation de Hamlet (Le Jour des meurtres dans l'histoire de Hamlet, 1974). Pourquoi cet acharnement à faire disparaître les traces de Shakespeare, dont le fantôme est néanmoins omniprésent?