Le parti-pris de cet ouvrage collectif revendique l’opérativité d’une réflexion sur la dimension spatiale de l’hospitalité. L’espace n’est pas seulement un support ou une scène pour l’hospitalité, mais une ressource ou un empêchement. Le questionnement sur et de l’espace nous place au carrefour entre la logique des dispositifs et les logiques ordinaires, entre les stratégies et les tactiques pour parler comme Michel de Certeau. En cela, la problématique générale de l’ouvrage s’attache à la spatialisation de l’hospitalité, c’est-à-dire à la manière de penser spatialement la possibilité de l’hospitalité. Corrélativement, nous posons que l’expérience vécue de l’hospitalité correspond à une temporalisation de gestes, de relations, de moments qui sont nécessairement associés à des espaces. Dès lors, comment se met en place ou non un dialogue entre ces dimensions (composantes) spatiales et temporelles de l’hospitalité ? Comment l’hospitalité rentre-t-elle dans les intentions des architectes, paysagistes, artistes, designers ? Comment l’architecture donne-t-elle ou non « l’occasion à l’hospitalité de tout son déploiement » (Pierron infra) ? Par rapport à ce qui se dégage comme un devenir où l’hospitalité est mise à l’épreuve au quotidien vis-à-vis des personnes et des groupes (maladies chroniques, vieillissement de la population, augmentation de l’autisme, précarisation, mouvements de population, politiques managériales), la thématique de l’(in)hospitalité des lieux de soin est une manière contemporaine d’aborder le fondement de l’architecture, de la ville et de la société par le prisme de la spatialisation et de la temporalisation. A partir du triptyque espace-autrui-relation identifié par Anne Gotman, si nous traitons de l’environnement construit avec sa matérialité, ses dimensions, ses qualités, nous nous intéressons plus précisément aux spatialisations et aux spatialités et non aux formes ou aux configurations fixes en elles-mêmes et pour elles-mêmes, plus aux processus d’investissement des espaces à l’interface de l’individuel et du collectif. Comment la rencontre, des moments et des rituels se spatialisent-ils, et sont-ils spatialisés par des éléments matériels et des séquences temporelles : seuil, porte, distance, accès, passage, horaires, régularité (etc.) ? Et comment, en dehors du clivage sujet / objet, de manière réciproque les sujets vivants éprouvent-ils le monde et autrui et s’éprouvent-ils dans leur rencontre ? Entendant explorer les spatialisations et les spatialités produites au prisme de l’hospitalité, l’hôpital constitue une figure centrale et une série de situations incontournables, mais il n’est pas exclusif dans nos questionnements. Notre réflexion ne s’y réduit pas, car notre entrée privilégiée est celle des lieux de soins mettant en jeu un continuum d’espaces, de situations et d’échelles dans la ville qu’il s’agisse, par exemple, de services médico-psychologique de jour « hors les murs » d’espaces dédiés à l’hygiène publique comme les bains douches ou encore des aménités urbaines recomposées dans l’espace urbain de proximité. Ce sont aussi les jeux d’échelles, les modalités de mise en relation entre ces espaces et ces situations qui nous intéressent. C’est pourquoi nous revendiquons, dans cet ouvrage, une recherche en actes au présent des actions et des expériences, fondée sur une approche transversale, interdisciplinaire du point de vue des sciences humaines et sociales, décloisonnée et ouverte entre monde universitaire et scientifique, monde du soin et monde de la production de l’espace. Ce, de manière à faire circuler les savoirs, les enjeux de terrains, les compétences, les questionnements et à provoquer des transferts de ces savoirs, compétences et questionnements. Les contributions rassemblées donnent la parole à des médecins (gériatre, psychiatre), des designers, des architectes, une artiste, des anthropologues, des sociologues, des philosophes, etc. Rassemblant 13 contributions et une préface, le manuscrit est structuré en quatre parties. La première partie intitulée « La rencontre de l’autre, temps et espace » aborde le triptyque espace-autrui-relation et ses spatialisations à partir, entre autres, du prisme de la portance au sein du milieu hospitalier en France et au Mexique. La seconde, « Formes spatiales et moments d’hospitalité(s) », porte sur des organisations spatiales et temporelles, sur l’effectuation du soin, sur ses conditions ou dispositifs (dans les deux sens du terme différenciés en anglais par cure et care). La troisième partie, « Manières de faire / matières à faire », concerne des gestes autour de l’hospitalité à partir de retour d’expériences mettant l’accent sur les (im)possibilités de l’hospitalité en acte. Enfin, la dernière partie « Hospitalités citadines » déploie l’analyse du triptyque espace-autrui-relation dans un enchaînement d’échelles et d’expériences urbaines à partir de dispositifs et de modes relationnels.