Depuis les années 1960, les thématiques gravitant autour de l’artisanat et du commerce de la glace et de la neige ont fait l’objet de nombreuses études. En 1994, les rencontres internationales tenues à Brignoles ont marqué l’historiographie en faisant se rencontrer des chercheurs du monde entier pour impulser une dynamique de recherches systémiques et globales de l’économie « du froid » (Acovitsiōti-Hameau, 1996). Cependant, si des avancées ont pu être faites en matière de chronologie, de modes de production et d’organisations économiques et sociales, l’historiographie s’est vue de plus en plus réduite à des études ponctuelles et microrégionales, délaissant les approches systémiques à des échelles plus importantes. Cette prospection archéologique thématique avec sondage, organisée dans le cadre du mémoire de Master 2 du responsable d’opération (Bartolomei, 2023), est l’occasion de réaborder le sujet de l’artisanat et du commerce du froid en proposant un point de vue novateur : celui de l’archéologue. En se servant de la situation Corse et des nivere de Ville-di-Pietrabugno comme étude de cas, ce travail, mêlant des données bibliographiques, archivistiques et archéologiques, tente de comprendre la typo-chronologie des sites du froid, leurs chaînes opératoires ainsi que leur place dans l’économie locale et méditerranéenne. Comment produit-on le froid, pour qui et pourquoi ? Sont les questions qui guident l’intégralité des réflexions de cette recherche. De cette façon, cette opération archéologique a permis de mettre au jour de nouvelles informations sur l’artisanat et le commerce de la neige dans l’agglomération bastiaise (de Planhol, 1968). La fouille d’un sondage de 3 m² au niveau de la porte est de Nevera Vecchia 02 a notamment confirmé les datations de la fin du XVIe au début du XVIIe siècles données par les documents d’archives, marquant l’arrivée d’une nouvelle activité dans le territoire. De plus, l’étude de la stratigraphie sédimentaire et du bâti a pu révéler la méthode de construction de la nivera. L’hypothèse la plus probable consisterait dans le creusement d’un puits à neige dans une pente. Les rejets auraient ensuite été utilisés pour aplanir et terrasser le terrain alentour, enfouissant en partie le puits et permettant alors de bâtir le reste de la structure en élévation. Le croisement des recherches historiographiques, archivistiques et archéologiques a permis de reconstituer la chaîne opératoire de Nevera Vecchia 02. Cinq étapes principales purent être identifiées (extraction, transport, stockage, commercialisation, consommation), menant à la manipulation de 67 800 kg à 113 000 kg de neige par an avec des taux de pertes atteignant entre 44,5% à 59,4% pendant le stockage puis 25 à 35 % pendant le transport. Malgré ce manque à gagner, l’exploitant pouvait alors réaliser un profit brut de 914 à 2402 livres génoises au XVIIIe siècle (Bartolomei, 2023). Dans un cadre plus large glacières et « nivières » étaient et sont donc toujours les vestiges les plus évidents de l’économie « du froid ». Elles-mêmes adaptées, comme les processus productifs, au contexte climatique, géographique et social, elles sont complètement intégrées aux économies médiévales et modernes, situées entre et en interaction entre le monde rural et le monde urbain (de Planhol, 1995 et Acovitsiōti-Hameau, 1984).