Souvent évoquée mais rarement étudiée en tant qu’objet, la « barrière » est un concept à privilégier pour saisir la complexité des enjeux géographiques et géopolitiques que soulève la délimitation des frontières et, à travers elle, la construction des États dans l’Europe moderne. Étrangère aux dictionnaires de la première modernité, elle prend forme dans la seconde moitié du XVIIe siècle. En 1680, César-Pierre Richelet, l’un des premiers à la définir, l’assimile à un obstacle pour la défense d’un territoire . Cette préoccupation militaire se double d’une dimension naturelle : Antoine Furetière (1690) l’associe à « un passage difficile qu’on trouve en voulant passer d’un pays à un autre, comme la mer, les grandes rivieres, les montagnes » , tandis que l’Académie française érige les Alpes et les Pyrénées en une « borne [de] deffense » . Pilier d’un système de sécurité collective contre tout dessein hégémonique, la barrière se fonde sur diverses discontinuités géographiques – montagnes, fleuves, rivières – perçues comme l’œuvre d’un Dieu créateur garant d’une paix universelle . Dans ce contexte, la maison de Savoie la perçoit comme un instrument de la diplomatie européenne destiné à protéger ses États coincés entre ses puissants voisins et l’associe aux traces de la nature pour pérenniser des frontières en théorie incontestables, car physiquement marquées , à une période où l'existence de sa principauté reste parfois niée par le jeu continental. Ainsi, le terme de « barrière (naturelle) » est fréquent dans les correspondances franco-savoyardes lorsqu’est évoquée la construction des frontières du côté des Alpes, du Rhône ou encore du Tessin. Sans nier l’artificialité de l’idée de frontières naturelles, je propose de réhabiliter la place centrale de la Nature dans les conceptions que les militaires et les diplomates aux XVIIe- XVIIIe siècles véhiculent de la « barrière », celle-ci concourant à la naturalisation des limites dans l’arc alpin. Il a d'abord été question de faire remonter les prémices de ce concept au traité de Lyon (1601) qui érige implicitement le Rhône en une barrière – le terme n’est pas encore verbalisé – offensive. Puis, il s'agit de montrer que la barrière des Alpes érigée à Utrecht, au même titre que les Pays-Bas espagnols, vient terminer un demi-siècle de guerres en enserrant la France dans un solide carcan, tandis qu’au XVIIIe siècle les « fleuves-barrières » du Rhône et du Tessin vise à préserver une bonne entente entre les États limitrophes. Cette analyse ne saurait ignorer enfin une montée en généralité en ouvrant sur le cas des Pyrénées, du Rhin ou encore des Pays-Bas espagnols qui amènent à interroger la nature de la barrière : est-elle d’abord naturelle avant d’être diplomatique et militaire ?