Les fusils en pause le temps de la pose photographique
Résumé
La Révolution mexicaine (1910-1920) est considérée, pour le premier quart du XXe siècle, comme l’une des révolutions les plus photographiées. Largement médiatisée dans les pages des revues et journaux mexicains, mais aussi états-uniens et européens, la guerre civile a mobilisé de nombreux photographes. Nombre d’entre eux étaient propriétaires de studios photographiques et avaient peu pratiqué la photographie en extérieur. Mais les circonstances les ont convertis, pour un temps, en reporters de guerre.
D’un point de vue technique, la deuxième décennie du XXe siècle est une période d’expansion de la presse illustrée, grâce aux progrès de l’imprimerie et, notamment à la possibilité de faire cohabiter sans difficulté sur une même page texte et photographie. Les photographes, de leur côté, travaillent encore souvent à la chambre noire et au négatif sur plaque de verre bien que l’usage des appareils portatifs se généralise et autorise une nouvelle agilité. L’instantanéité photographique n’est pas encore un leitmotiv et il semble difficile de s’affranchir des pratiques très codifiées du portrait en studio.
Les contraintes techniques et les usages de la profession mènent donc à une représentation de la Révolution globalement figée, où la pose est de mise pour les révolutionnaires comme pour l’armée fédérale. Afin de simuler des scènes de bataille, extrêmement difficiles à capter sur le vif, la mise en scène est privilégiée. Loin de l’image des révolutionnaires sanguinaires véhiculée par les discours médiatiques et les rumeurs, les portraits des chefs de factions et de leurs soldats-paysans ressemblent parfois à des parodies de portraits de la bourgeoisie dans une géographie mexicaine faite de désert, d’agaves et de figuiers de barbarie.
À partir de l’analyse d’un petit nombre de photographies emblématiques publiées dans la presse nationale et internationale, nous tenterons de délimiter les contours de cette représentation figée de la Révolution mexicaine et de comprendre les conséquences d’une telle mise en scène dans l’imaginaire lié à la guerre civile. Nous tenterons également de montrer que cette immobilité est souvent contrebalancée dans la presse par des légendes ou des articles qui prêtent aux soldats représentés des qualités invisibles dans le portrait : férocité, courage, sauvagerie. Ce va-et-vient entre textes et images nous amènera à une réflexion globale sur les contours de la représentation photographique de la révolution à une époque où l’image documentaire en mouvement était encore peu accessible à la société mexicaine dans son ensemble.