Introduction Etudier la place du commerce dans la transition du système alimentaire implique de s’intéresser aux évolutions de l’offre commerciale alimentaire, tant en termes de formes de vente et produits vendus que de distribution spatiale et d’accessibilité par les habitants. Ainsi, faisant référence à la perspective multi-niveau (Geels 2002), il peut alors s’agir d’étudier l’organisation spatiale de niches d’innovation commerciale, la réorganisation du maillage territorial de l’implantation de distributeurs constituant le régime en place, etc. Tout comme les études sur les environnements alimentaires (Turner et al. 2021), ces travaux nécessitent alors disposer de données fiables sur l’implantation des points de vente alimentaires. Cependant, il est rarement possible de cartographier l’offre commerciale alimentaire d'une ville à partir d'un travail de terrain. Les études existantes sur les environnements alimentaires utilisent donc des données secondaires, principalement issues de bases commerciales et institutionnelles (Wilkins et al. 2019). Une autre source de données qui offre un potentiel important pour la cartographie des commerces est l'information géographique volontaire (IGV). Cependant, à ce jour, la fiabilité de telles sources de données pour la cartographie des environnements alimentaires n'a jamais été évaluée. De plus, en France, malgré le nombre croissant d'études sur l'environnement alimentaire, la fiabilité des sources de données n'a jamais été évaluée. Notre recherche vise alors à évaluer et comparer la fiabilité de deux sources de données : la carte collaborative OpenStreetMap (OSM) et une base de données institutionnelle nationale, le répertoire national des entreprises Sirene. Méthode Les données de ces deux bases ont été extraites et les nomenclatures standardisées pour 9 catégories de commerces alimentaires et 2 catégories d’établissements de restauration. L’évaluation de ces bases a reposé sur une comparaison avec des données observées in-situ. Cette recherche a été conduite sur le territoire de la métropole de Montpellier (31 communes, 490 000 habitants) dans le sud de la France. Notre unité d’observation est le carreau habité de 200×200 m (INSEE). La vérification sur le terrain a été effectuée dans 206 carreaux, soit environ 7 % de la métropole. Les carreaux ont été sélectionnés par une méthode d'échantillonnage spatial aléatoire utilisant QGIS v2.18. Les relevés de terrains ont été effectués de mai 2018 et janvier 2019 par le premier auteur. Le nom, la catégorie et les coordonnées GPS de chaque point de vente alimentaire observé ont alors systématiquement été enregistrés à l'aide de l’application mobile Epicollect 5. Trois indicateurs ont été calculés pour évaluer la fiabilité des deux bases : la sensibilité (S), la valeur prédictive positive (VPP) et la concordance (C). Enfin, nous avons analysé la variabilité socio-spatiale de ces indicateurs, en stratifiant notre échantillon en fonction du niveau de revenu des ménages vivant dans chaque carreau. Résultats Des 192 points de vente d'aliments recensés sur le terrain, 72 % sont des établissements de restauration. Les mesures de sensibilité révèlent que Sirene est plus exhaustif qu'OSM. Cependant, les valeurs prédictives positives montrent qu'OSM contient moins d'établissements qui n'existent pas (ou plus) sur le terrain que Sirene. Enfin, la concordance est plus élevée pour Sirene que pour OSM. Ainsi, selon l'échelle d'interprétation de Paquet et al. (2008), la sensibilité du répertoire Sirene est bonne (0,71) et celle d'OSM modérée (0,53). Inversement, la valeur prédictive positive est bonne pour OSM (0,78) et modérée pour Sirene (0,60). La concordance d’OSM et Sirene est moyenne (0,46-0,48). Par ailleurs, la fiabilité des deux bases de données varie en fonction du niveau de revenu du quartier. Nos résultats indiquent alors que la base de données Sirene offre une meilleure fiabilité dans les quartiers les plus pauvres, tandis que la base de données OSM offre une meilleure fiabilité dans les quartiers les plus riches. Ainsi, compte tenu de la géographie des revenus de la ville-région de Montpellier, Sirene est plus robuste dans la ville-centre de Montpellier et OSM est plus robuste dans les zones périurbaines, car le niveau de revenu par quartier est plus faible à Montpellier que dans les zones périurbaines. Discussion et conclusion Notre évaluation de la fiabilité des sources de données disponibles pour cartographier l’environnement alimentaire est, à notre connaissance, la première réalisée en France et la première à évaluer une source de données basée sur de l'IGV. La comparaison de nos résultats avec les évaluations conduites dans d’autres pays (Lebel et al. 2017) met en évidence que la fiabilité de Sirene et d’OSM est similaire à celles d’autres bases de données commerciales et institutionnelles. Nous faisons alors l’hypothèse que les limites de fiabilité de Sirene sont liées à des erreurs de classification, un manque de précision de la nomenclature utilisée et au temps de mise à jour de la base de données. Concernant OSM, nous suggérons que le mode volontaire d'acquisition des données et le profil des contributeurs peuvent expliquer son exhaustivité limitée ainsi que l’hétérogénéité spatiale de sa fiabilité. Aussi, alors que les recherches sur la transition du système alimentaire se développent, il est nécessaire de disposer de données fiables permettant de quantifier et qualifier les changements dans l’offre commerciale alimentaire. Cette première évaluation de sources de données disponibles gratuitement sur l’ensemble du territoire français ouvre des pistes pour élaborer une base de données permettant de suivre de telles évolutions. Différents projets de recherche se penchent sur ce travail actuellement à l’instar de l’ANR TRANSFood, Horizon Europe FEAST et de ObSAT. Nous concluons ainsi en invitant à la mutualisation des efforts pour la construction et la mise à disposition en libre accès d’une base géoréférencée de l’offre alimentaire nationale. Références Geels, F. W. 2002. Technological transitions as evolutionary reconfiguration processes: a multi-level perspective and a case-study. Research Policy 31(8): 1257‑1274. doi: 10.1016/S0048-7333(02)00062-8. Lebel, A., M. I. G. Daepp, J. P. Block, R. Walker, B. Lalonde, Y. Kestens, et S. V. Subramanian. 2017. Quantifying the foodscape: A systematic review and meta-analysis of the validity of commercially available business data. Plos One 12(3): e0174417. doi: 10.1371/journal.pone.0174417. Paquet, C., M. Daniel, Y. Kestens, K. Léger, et L. Gauvin. 2008. Field validation of listings of food stores and commercial physical activity establishments from secondary data. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity 5(1): 58. doi: 10.1186/1479-5868-5-58. Turner, G., R. Green, C. Alae-Carew, et A. D. Dangour. 2021. The association of dimensions of fruit and vegetable access in the retail food environment with consumption; a systematic review. Global Food Security 29: 100528. doi: 10.1016/j.gfs.2021.100528. Wilkins, E., D. Radley, M. Morris, M. Hobbs, A. Christensen, W. L. Marwa, A. Morrin, et C. Griffiths. 2019. A systematic review employing the GeoFERN framework to examine methods, reporting quality and associations between the retail food environment and obesity. Health & Place 57: 186‑199. doi: 10.1016/j.healthplace.2019.02.007.