Le deuil et la colère liée au meurtre homophobe de l'être aimé sont précisément au centre de O amor dos homens avulsos, deuxième roman de Victor Heringer, publié en 2016, deux avant le suicide de l'auteur. Dans notre commentaire de l'œuvre, nous analyserons, dans un premier moment, la façon dont la désespérance s'est emparée du personnage-narrateur, le condamnant à redire sans cesse la blessure traumatique engendrée par la perte de son premier et unique amour. Nous essaierons de saisir, d'un côté, le fonctionnement de cette écriture du ressassement mélancolique et, de l'autre, la complexité psychique de cette terrible claustration obsessionnelle. Dans un deuxième moment, nous examinerons la manière dont le protagoniste est parvenu, malgré tout, à se délivrer de ses pulsions (auto)destructrices, à la fois par le travail de l'écriture-témoignage (qui s'avérera donc également cathartique), et par l'heureuse découverte des vertus du don de soi. Nous verrons en particulier comment cette régénération psychique et morale du protagoniste se traduit aussi en termes de déconstruction et reconstruction du texte. Parallèlement à l'approche narratologique du roman (qui s'y prête à perfection, tellement il est stimulant de ce point de vue-là), nous privilégierons aussi, naturellement, un abordage sous l'angle des études de genre, de la psychanalyse et de la philosophie. Pour cela, nous mobiliserons différents apports théoriques, notamment ceux développées dans des écrits de Monique Wittig, Liliane Louvel, Freud, Derrida, Julia Kristeva et Levinas.