Nous souhaitons proposer à la réflexion l’usage, en productions végétales, d’un dispositif d’émission de sons envers les plantes. Ces sons, les protéodies , réguleraient la biosynthèse des protéines et participeraient à réduire les intrants à amener au système en renforçant les défenses naturelles des plantes. Notre travail s’appuie sur un terrain exploratoire mené en 2018 (Javelle et Garcia, 2021), que nous allons poursuivre dans le cadre d’un projet dédié à appréhender le rôle des communautés dans la transition agroécologique . Nous souhaitons analyser si l’usage de ces dispositifs numériques participe à créer des communautés multispécifiques et à les caractériser notamment par les relations établies entre humains et plantes (Pitt, 2017). Ces dispositifs font écho à des travaux montrant l'influence des sons sur les plantes, notamment quant au traitement des informations qu'elles font du monde. C'est ce point qui ouvre un champ peu exploré jusqu'à présent. Il est possible d'envisager les réactions des plantes aux signaux sonores soit de manière prédéterminée, stéréotypée, comme une simple plasticité phénotypique induite par la capacité des organismes à capter des signaux environnementaux ; ou bien, comme le propose Monica Gagliano (2018), il s'agit d'expliquer ces réactions en s'appuyant sur le comportement des plantes, en en prenant une définition élargie qui inclue leurs actions et leur agentivité, renvoyant à leurs « compétences cognitives ». Si nous portant notre attention sur les relations établies entre humains et plantes au sein des éventuelles communautés qu’ils forment (Pitt, 2017), le dispositif interroge. L’usage des boitiers son peut partir d’une intention de soin « naturel », c’est-à-dire non chimique et simple soutien de dispositifs naturellement présents dans la plante. Ce souci d’une naturalité de l’intervention humaine traduit le souci de qualité de l’engagement humain envers les plantes, dans ce qu’il pourrait alors être qualifié de communautés multispécifiques. Cette pratique pose néanmoins question puisque les plantes ne peuvent, a priori, se soustraire à cette information. . En affectant un processus biologique, les protéodies démultiplient la puissance humaine. On ne peut manquer de se demander si un parallèle peut être établi avec les manipulations génétiques et leurs innombrables questions éthiques. Par exemple, en s’inspirant du texte de Raphaël Larrère (2002) différenciant le démiurge du pilote, on peut interroger l’imposition forcée d’une manipulation des plantes, sans respect de leurs rythmes, besoins ou états de « fatigue » (Genodics, comm. perso.) ; on peut aussi réfléchir aux impacts incontrôlés du dispositif sur les animaux ou autres végétaux présents dans les parcelles. Est-ce pour autant qu’il faille effectivement réfléchir aux impacts de l’usage des sons en termes éthiques ? Envisager l’intrusion anthropique dans la biologie végétale en mobilisant l’éthique de l’intime (Durif-Varembon, 2003) ouvre-t-il de nouvelles perspectives en terme de respect des altérités végétales, ou bien est-ce une anthropomorphisation de la plante ? D’autre part, si le son agit effectivement sur les plantes, il les assujettit à des actions dictées par des choix anthropiques, selon un objectif uniforme et imposé. Les dispositifs émetteurs sont supposés faire réagir les plantes selon le même objectif, créant ainsi un lien de synchronisation entre elles au rythme du son. Là encore, le questionnement de l’uniformisation de la réponse végétale, et donc de la perte du libre-arbitre individuel, ouvre-t-il de nouvelles perspectives en termes de respect des comportements végétaux, ou anthropomorphise-t-il la plante ? Alors qu’un contrat moral est proposé envers les animaux domestiques (Larrère et Larrère, 1997) et interroge l’engagement que l’humain a envers eux, ne peut-on étendre cet engagement aux plantes ? Comment décliner ces questions selon les manières de considérer les plantes, comme être biologiquement sensibles jusqu’à des êtres intelligents (Hiernaux, 2020) ?